N'allez pas là où le chemin peut mener, allez là où il n'y a pas de chemin et laissez une trace !


Esquisse par ©Le long pour le mur des Flamants roses sis 1 rue des Bruyères aux Lilas

Entretien avec Evelyne Lebouvier, septembre 2024 - (3/3)

- Tu as créé ton Association Les Arts Fleurissent la Ville, le 14 novembre 2020, qu'elle est sa vocation ?

L’association Les Arts Fleurissent la Ville doit son nom à sa participation au Budget Participatif de la Ville des Lilas, « Les Arts Fleurissent Les Lilas » en 2020.

Elle a été déclarée en avril 2021 et publiée au JO en novembre 2021, mais de fait, l’association existait depuis juin 2020. Avec les premières interventions de Seb.d ; dont les pochoirs ont contribué à l’animation de deux repas de voisins dans le Jardin de l’Art Urbain, rue du Centre aux Lilas. Surtout la première expérience pour Le Long. On s’était cotisé pour lui payer les bombes. J’avais sollicité la copropriété pour qu’il fasse son premier mur à main levée au jardin.

Et puis dans la foulée sont arrivé ; Akelo, Diane, Jon Buzz, Claks, Depielli, Paulo, Nice-Art, Pêdro, Nô, Emyart’s, Glad Pow, Demoiselle MM, Louyz, Wild Wonder Woman, Lasco, The End, Steso…

La vocation naturelle de l’asso est de couvrir les murs de peinture, à gros traits ou d’œuvrer pour la promotion de l’art urbain, ça veut dire pareil. Les buts de l’association sont avant tout de travailler avec les artistes locaux, de développer la connaissance de cette expression artistique par des visites ou tout autre évènement. Dans les statuts : « Cette association a pour objet :

- d’apporter de la valeur à l’environnement dans la ville, de faire circuler du langage avec des interventions qui témoignent de l’art urbain

- d’associer le public qui vit/demeure à proximité de lui favoriser la passerelle avec l’art urbain à travers des ateliers ou des choix de thématiques des concertations rencontres etc…

 - de proposer un accès aux arts vivant comme l’art urbain via des visites ou d’autres évènements. »

 

- On pourrait dire qu'avec Les Arts Fleurissent la ville, Les Lilas sont toujours en fleurs : combien de Murs as-tu initiés dans la ville des Lilas, au Pré-Saint-Gervais... ?

Evelyne, je te remercie pour cette question, car depuis deux ans, je n’arrête pas le décompte des murs. Hier, pour la rentrée, j’ai posé un collage de LOUYZ sur la boulangerie un autre sur celle Modern’ Fripe et encore un au café Le Lilas. Ce ne sont pas à proprement des murs, ce sont des « interventions », mais ça témoigne de l’activité de l’association sur le terrain.

Mais pour Les Lilas, l’association a initié 11 murs, peints par 17 artistes et au Pré-Saint-Gervais, nous bénéficions aussi de 10 surfaces pour 10 artistes. Certaines sont livrées depuis cet hiver, d’autres sont en cours. Donc, 21 murs officiels, sans compter les « featurings » tels que Léo DIELEMAN, COMER, MS BEJA… et les « jams » de l’association ; ça fait une trentaine environ.

 

- Comment accompagnes-tu les artistes dans ces projets ?

Le maître-mot, c’est d’épargner aux artistes les péripéties des aléas pour pouvoir peindre un mur. Il faut, selon moi, gommer les aspects négatifs et ne transmettre que le positif aux artistes.

Aussi, je leur passe les détails des négociations pour trouver un meilleur emplacement, par exemple, mais je communique sur le beau mur qu’on a trouvé. Je valorise et j’encourage. J’attire toujours l’attention des artistes sur l’environnement de leur œuvre, car j’ai appris à le prendre en compte, notamment pour ne pas me faire toper par les Architectes des Bâtiments de France.

 

- Quelles sont les difficultés que tu peux rencontrer ?

Pour te répondre sincèrement, les pires sont les mésententes avec de vieux amis, des compagnons de route qui par aveuglement financier, souvent, me plaquent sans crier gare ! Les projets que je juge irrecevables aussi et qui font l’objet d’âpres négociations pour que j’obtienne un mur visible de la rue notamment. Je ne connais pas de problèmes de dépassement d’honoraires, les artistes avec qui je travaille n’ont jamais manqué de s’acquitter du pourcentage qui revient à l’association sur leurs travaux. Et c’est pour nous l’occasion de financier d’autres projets.

 

- Spécialiste, amateur ou "qualifié" comme le dit Astrid dans la série que nous apprécions beaucoup tous les deux : " Astrid et Raphaëlle " sur France.tv : comment te qualifierais-tu ?

On aime beaucoup cette série en effet et j’ai même adopté le « Ouiii » sonnant d’Astrid ! Je suis plutôt un amateur, au sens littéral, c’est-à-dire que j’aime ce domaine et que je m’y intéresse. Il s’avère qu’à force de travail, j’ai acquis le statut de spécialiste et au fur et à mesure de mon expérience sur ce terrain, je suis devenu meilleur dans mes conférences. Mais je ne suis pas un expert pour autant, car cela induit à mon sens un savoir fini, un poids mort, sanctifié par un diplôme poussiéreux. J’espère être plus en adéquation avec mon sujet qu’un mémoire sur l’histoire de l’art. L’exemple caricatural en est « Les chevaliers paysans de l’an Mil au lac de Paladru » selon le film « On connaît la chanson » de Alain Resnais. La culture générale n’est pas faite pour être étalée comme de la confiture, mais pour changer notre nature. Accepter de se changer, c’est prouver sa vitalité d’esprit. C’est manifester la vie.

 

- J'ai participé à plusieurs de tes visites et, tu me diras si je me trompe, elles sont me semble-t-il, construites sur la même trame : une introduction, un développement et une conclusion : est-ce que le Guide aurait besoin d'un fil d'Ariane pour être lui-même guidé ?

C’est ma formation d’animateur, et notamment à la technique en or de toute animation, qui est le « PSADRAFRA » à savoir : Présentation, Sensibilisation, Accroche, Développement, Réunion, Animation, Finalisation, Retour, Analyse. Une vieille technique mnémotechnique que j’utilise toujours et qui constitue la trame de mes visites. Comme un conteur, j’ai besoin de savoir les mots que je vais employer, je les connais par cœur pour certaines œuvres, où je sais que je vais faire rire mes invités par exemple. Un conteur ne dévie pas de son récit quand il est établi.
Dérouler le fil, c’est la question ! Pour savoir commencer, il faut savoir où finir. C’est mieux d’être aligné et de présenter une congruence avec le récit. Et pour boucler la boucle, il faut poser la problématique dès l’introduction. C’est de plus le moment privilégié de la rencontre avec les invités. Je leur donne la parole à leur tour. Nous avons déjà parlé du contexte historique et je n’y reviens pas. Le développement, souvent s’amenuise à mesure de la visite.

 

- La conclusion de tes visites n'est pas un simple "au revoir" adressés à tes Invités, il y a ce que tu appelles une "après visite" :

   - quelle est son importance pour toi et tes Invités ?

   - peux-tu nous parler de son contenu ?

Alors, les après-visites sont le fruit de mon expérience avec Demain et Kasia que j’ai déjà cités. Il faut garder le lien qui a été tissé avec tant de soin. Ce serait du gâchis de se limiter à ces deux heures seules. Comme j’ai beaucoup à apporter avec des liens, des compléments d’information, j’estime que c’est le moins d’aider le public à se repérer, « je suis qualifié » comme dit Astrid.

Et puis, c’est un moyen de perpétuer la rencontre, de donner aux invités du grain à moudre, s’interroger et s’informer, car il y a beaucoup de liens dans les messages, sans compter les documents dédiés à chaque visite. C’est aussi une mise en relation dans la fidélité, puisque je communique sur les prochaines visites et que j’envoie le lien pour les éternelles 5 étoiles, tu sais déjà, on en a assez parlé en rigolant ! La note ; c’est important pour un guide !

 

- Tu évites de donner ton avis sur ce que tes Invités découvrent au cours de la visite, est-ce que c'est compliqué pour toi, dans ta profession, de garder cette neutralité ?

Oui, un guide professionnel n’est pas là pour juger mais pour éclairer les œuvres et le travail des artistes, de les servir à travers son discours. Je ne prête le flanc à cette technique facile de réduire les artistes à un jugement définitif. Parfois je m’interroge, c’est difficile de se contenir en tant qu’individu, en tant qu’amateur un peu critique, même pas mal psychorigide sur certains points. Mais je n’éreinte jamais un artiste, nommément, sciemment, itérativement.

 

- On a souvent eu l'occasion de parler du Regard (je mets volontairement un "R" majuscule) porté sur les choses, et je citerai Marcel Duchamp qui a dit "Ce sont les regardeurs qui font le tableau", qu'en penses-tu ?

    - est-ce que regarder ça s'apprend, peut-on "éduquer" un regard ?

    - penses-tu avoir un rôle dans cet apprentissage si apprentissage il peut y avoir ?

Je pense, oui. C’est primordial de transmettre, d’aiguiser le regard du « Regardeur », de pointer les zones interlopes de la peinture, celles ou l’artiste trouve son espace singulier. Regarder est un métier. « Ce que nous voyons nous regarde » disait Merleau-Ponty. Il faut apprendre à voir pour regarder. J’essaie du mieux que je peux d’y convier mes invités à le faire en leur posant des questions sur les blazes dans les graffitis par exemple, afin de leur montrer qu’ils sont à même de les lire. Le regard dépend de nos références culturelles et forcément de notre âge.

J’explique aussi à chaque fois que je peux pendant mes visites la technique des photos sur les toits noirs des voitures ou dans les flaques d’eau, mais tu sais déjà ! Faire des photos traduit bien l’apprentissage du regard, car définir son cadre c’est un parti pris esthétique qui révèle une vision personnelle. Selon moi, plus le regard est original et composé, plus belle est la photo.

On peut éduquer son regard, la meilleure consiste d’aller fréquemment au musée pour s’interroger sur les œuvres, les faire résonner dans son moi intérieur, comme sur la peau d’un tambour… et écouter le rythme produit. C’est la même chose dans la rue, savoir reconnaître un tag du premier coup d’œuvre, ou attribuer le mur à un artiste depuis 50 m. ça s’apprend, ou du moins, c’est le fruit de la fréquentation intime des œuvres de street-art.

 

- Les tags et les lettrages n'ont pas toujours le même accueil auprès de tes invités, et j'ai moi-même mis du temps à m'y intéresser ; tu les lis avec ton groupe, tu les déchiffre je pourrai même dire, chacun peut participer à cette lecture. Est-ce essentiel de savoir pour apprécier ?

(L'histoire de Némo qui dessinait des ballons -si je me souviens bien- sur le chemin de l'école de son fils ; Démétrios ce coursier d’origine grecque, qui signait Taki 183, sur le parcours de ses courses - abréviation de Démétralki, et 183 pour la 183ème rue à New York, son adresse, précurseur du Tag New Yorkais...)

    - de la même façon, faut-il s'intéresser à la technique, au flow, au rythme, inhérents à la réalisation de l'artiste pour apprécier, comprendre pleinement sa réalisation ?

Alors, dans l’ordre, je cherche moins à délivrer des contenus de savoir, en lisant les graffs avec mes invités, qu’à créer un groupe, à permettre à tous de s’exprimer sur un support qu’il ne lis jamais, donc à fédérer l’équipe, c’est pour ça que j’aime bien le faire au début. A Vitry, où je commence avec deux graffs de BROK et TAKT. C’est un rite de passage, après ma visite, je sais qu’ils pourront lire les blazes par eux-mêmes. Cependant, je m’en sers pour parler du graffiti, son histoire, ses codes, la différence avec le street-art et leur réunion dans l’expression « art urbain ». Car du graffiti, je vais leur en parler pendant deux heures, mieux vaut que je sois clair.

Je me rends compte en parlant, que je n’établis pas de hiérarchie entre l’un et l’autre… pour moi l’art urbain mache sur ses deux jambes, le street-art et le graffiti. C’est possible que cela déstabilise mon public, car il vient souvent sur la base de connaître le Street-Art et pas les vieux taggs perdus sur une porte délabrée, mais je montre les deux. Hier, à Montreuil, je n’ai pas pu m’empêcher de m’ébaubir devant un tag de ASYLE, parce que c’était pour moi l’occasion de parler de l’âge d’or des années 80 avec le climax du 1er mai à la station de métro « Louvre-Rivoli » repeint par OENO et consorts, où on voit ANDRE à la télé, qui trouve ça bien joli et que ça témoigne que l’art a changé de camp, selon lui. Et j’ajouterai que non seulement la liberté d’expression est dans la rue, mais la beauté aussi, pour citer un slogan de mai 68.

Non, selon moi il n’est pas besoin de savoir pour apprécier. Mais de savoir permet de se sentir inclu dans le cercle des amateurs, ça contribue à changer notre regard de savoir les détails. A propos du personnage de Windsor McCay « Little Nemo » et de l’artiste qui a gardé « Nemo » pour ponctuer le trajet allé de son fils jusqu’à l’école, pour qu’il soit bien disposé à apprendre justement… c’est pareil pour Taki 183, le savoir permet de se rapprocher de l’artiste. Le voir…

 

- "S'émerveiller", un mot qui chante à nos oreilles : est-ce que tu t'émerveilles toujours quand tu découvres de nouvelles œuvres dans les rues ?  

Mais, oui, quelle question (rires) ! Oui, bien sûr, il y a de quoi, nous avons la chance de vivre dans une capitale de l’art urbain. Ici, le terrain est dense, il y a matière à s’ébaubir, à se faire une entorse de l’œil comme je dis souvent (rires). Mais oui, je comprends bien ta question, c’est joli de la formuler en positif ; est-ce qu’il n’y a pas un effet de lassitude à force de fréquenter les œuvres. Et bien, non. Comme j’arpente beaucoup les rues, je découvre des artistes tout le temps. Les voyageurs qui profitent de leur escale à Paris pour poser sur nos murs, j’adore. C’est aussi franchir une frontière de connaître de nouveaux talents, de nouvelles techniques, de nouvelles propositions artistiques.  

 

- S'il fallait conclure maintenant cet entretien, j'invoquerai pour cela un poète que tu connais et apprécies, Charles Baudelaire, et ce vers du poème "Le mauvais vitrier" : "La vie en Beau, la vie en Beau !... Mais qu'importe l'éternité de la damnation à qui a trouvé dans une seconde l'infini de la jouissance !" 

Je suis plus d’accord avec la première partie de la phrase que la seconde. Car j’y vois le génie un peu pervers du poète, qui a fait de lui un maudit par définition. A ce titre, je pourrai ajouter qu’il portait la damnation au-dessus de tout. Notamment, dans le poème qui lui est dédié, la beauté est vêtue d’atours « plus câlins que les anges du mal ». Mais aussi, que la fin de sa vie est symptomatique du point de ce point de vue. Il est resté neuf mois dans le coma et à la dernière minute, il s’est dressé sur son lit et a prononcé un juron, un blasphème ; « crénom » !

J’aime mieux l’expression la vie en Beau, parce qu’elle résume toute une philosophie. Je la résume en citant Merleau-Ponty, « ce que nous voyons nous regarde ». C’est tout le propos, être conscient de cet aller-retour entre la lumière du monde et nos ténèbres, j’ai envie de dire.

On a évoqué le « regardeur » de Marcel Duchamp je crois, sinon c’est le moment de le faire. La beauté se trouve peut-être plus dans ce rapport entre le regardeur et l’œuvre que dans l’œuvre elle-même, pour conclure qu’il n’y a pas de beauté absolue. Elle est relative à notre héritage culturel, à nos valeurs, à nos habitudes ; elle s’établit en fonction de notre individualité.

 

- Il n'existe pas Une définition du Beau, je pense, mise à part celle du Larousse, mais toi qu'en dirais-tu, qu'est-ce que le Beau pour toi ?

Le Beau nous rassemble, de cela je suis sûr.

 

- Y’a-t-il une question que je ne t’ai pas posée à laquelle tu aimerais répondre ?

Oui, elle aurait trait au Hip-Hop, dont on a fêté l’an passé le 50ème anniversaire, d’après la date de la soirée animée par Kool-Herc aux platines pour la rentrée de sa petite sœur, le 9 septembre 1973, qui est considérée comme la première « Block-Party » de l’histoire. Bien sûr, elle avait lieu dans le Bronx, car tout le mouvement est parti de ce quartier sous-valorisé, on dirait relégué ou sensible, pourtant les habitants ont créé l’art du XXIème siècle. Et comme on parle de musique là, tu remarqueras que c’est le même creuset, la même marmite que là où a « bouilli » le Blues à la Nouvelle-Orléans à Storyville, qui était un quartier aussi mal réputé.

Et, comme le précise Ahmad Jamal, ils ont inventé « la musique classique du XXème siècle ». 

Entretien avec Evelyne Lebouvier, août 2024 - (2/3)

 - La musique tient une grande place dans ta vie, est-ce qu'elle t'accompagne au cours de tes visites, des morceaux privilégiés ?

Impossible de ne pas évoquer la musique dans le rythme des visites. Souvent, j’écoute WeFunk Radio avant, car ça a le don de me mettre sur pied, de me préparer, je ne sais pas bien l’expliquer, mais ce serait un peu comme un métronome. Il y a aussi les musiques que j’aime bien ou que j’ai réécouté récemment. Elles peuvent me donner la pêche, comme on dit en bon français, « a tingle ». Je crois en ferme adepte de Baudelaire à la théorie des correspondances, « j’aime à la folie les choses où le son se mêle à la lumière » et on peut toujours trouver l’écho d’une symphonie dans un bouquet de couleurs, un mur orchestré avec bonheur, je dirais !

Des morceaux privilégiés, comme Dargelos dans « Les Enfants Terribles » de Jean Cocteau, ne veut vivre que des moments privilégiés ? Oui, « back to the roots » un bon paquet de blues et de spirituals comme « West End Blues » de Louis Armstrong ou « In The Upper Room » par Mahalia Jackson. A cela vient s’ajouter le répertoire Be-Bop, « Cool Blues » de Charlie Parker ou « A Night In Tunisia » de Dizzy Gillespie. Enfin, il faut rajouter la crème soul et funk avec Marvin Gaye « Mercy, Mercy Me » mais aussi Sam Cook, Al Green, James Brown, The Isley Brothers « Between The Sheets », The Jacksons Five « I Want You Back » ou « The Pusherman » de Curtis Mayfield. L’emblème, c’est sûrement « Street Life » des Crusaders ou « Native New-Yorker » du groupe Odyssey. Et la culture des bandes originales de films. Je n’en citerai qu’une « Le Corps De Mon Ennemi » par Francis Lai pour le film éponyme.

- Est-ce que tu te considères comme une personne atypique ?

Ah quelle bonne question, je te remercie de me la poser. Oui, je me considère comme un extra-terrestre ou une espèce en voie de disparition, c’est selon les travaux et les jours.

D’abord, parce que je mets du sens en toutes choses. J’analyse et j’interprète beaucoup, parfois trop vite. Je suis vieille école, c’est-à-dire que je crois plus en la qualité, le soin, l’inventivité d’un artiste que son nombre de followers. La quantité à mon sens n’a jamais fait la qualité, au contraire, souvent elle la dénie. Aussi, je juge pour me situer et pas pour le plaisir de juger. Mais j’essaye d’avoir ma pensée propre et c’est là que je me rends compte que le public dans son ensemble, ne veut pas savoir. Il se contentera des récits de la CIA sur l’assassinat de John F. Kennedy. « Gouverner, c’est raconter » disait en substance Nicolas Machiavel, il faut se défier des discours lissés.

Ensuite, parce que j’ai l’impression que mes contemporains ne se soucient pas de savoir, ils se soucient d’avoir. Dans ce sens, je suis atypique, je me contrefiche de posséder, tant que j’ai gardé l’idée. Même les photos parfois, je me refuse à les faire pour laisser infuser et vérifier si j’aime bien ou pas avant d’avoir l’image dans mes dossiers, dans le domaine de l’émotion c’est la force de l’impression le plus important.
Je dirais que je n’ai pas la même échelle de valeurs que la plupart des gens, je n’ai qu’à regarder la platitude de leur Instagram dans le métro par-dessus leur épaule, pour me le confirmer.

- Quel mot utiliserais-tu pour te "qualifier" ?

Poète, au sens littéral. « Poiêsis » en grec, c’est la force de la création artistique. Au sens commun, c’est la profession de celui qui écrit des vers. Je voudrais bien être à la hauteur des deux.

- Est-ce que tu te considères comme un passeur de connaissances ?

Est-ce une perche, tu me connais bien et c’est pourquoi cet entretien, pour parler de Serge Daney ?
Tu sais que c’est auteur important pour moi. Il s’intitule lui-même un « ciné-fils » parce que son père doublait les films américains en français et aller au cinéma, c’était à défaut de le voir, entendre son père lui parler. C’est Monsieur Serge Daney, dont on courrait les articles le mercredi dans Libération. Auparavant, il avait été pendant 20 ans directeur-en-chef de la rédaction des « Cahiers du Cinéma ».
C’est un esthète, il m’a frappé autant par son article sur le traveling de Kapo que sur sa vision des cartes postales son entretien avec Pierre-André Boutang pour la Sept est un résumé de sa pensée. C’est lui qui m’a soufflé cette idée de « passeur » dans les livres que j’ai lu de lui, je citerai « Le Salaire du Zappeur » et « L’Exercice a été profitable, Monsieur », chez POL et dans la revue Positif, le N°1.

 

- Quel est le 1er artiste que tu as découvert ?

Premiers artistes que j’ai connus à la faveur de deux reproductions dans ma chambre d’enfant « Le Lièvre » d’Albrecht Dürer et « Le Clown » de Bernard Buffet. Ils ont contribué à m’interroger sur l’image.

Comme artiste de rue, MESNAGER. J’avais 20 ans, je fréquentais pour la première fois les « Ateliers de Ménilmontant », je suis passé rue de la Duée, là où l’artiste habitait à l’époque et j’ai été saisi par la poésie de ses bonshommes blancs. Et puis, la rue des Partants et NEMO. Les deux dans la même foulée.

Mais ce n’est pas mon premier mur. Le premier, c’est le mur de Berlin en 1986 et tous ces graffitis « Die Mauer Muss Fallen » (le mur doit tomber) et les « Mickey » en caricature avec la poignée de dollars en main… c’est mon premier mur, j’en garde un souvenir ému, en plus on carburait à la « Berliner Weisse ».

 

- S'il y avait un artiste que tu aimerais nous faire découvrir, là, maintenant, ce serait lequel ?

C’est une question difficile, en ce moment, j’aime bien les pochoirs de KLICK. Mais je voudrais citer Léo DIELEMAN avec qui j’ai eu une belle expérience à Belleville, que je compte reproduire à Montrouge !

Cependant, avec l’association, j’ai réussi à réunir certains artistes qui reviennent à travers mes différents projets, parmi eux honneur aux Dames, ADEY, DEMOISELLE MM, DIANE, EMYART’S, LOUYZ, MS BEJA, NICE ART, STOUL et pour les Darons, DOCTEUR BERGMAN, ERNESTO NOVO, JON BUZZZ, LE LONG, etc.

 

- Quelle a été ta pire visite ?

Je crois que c’était avec deux dames sur le parcours de INVADER dans le centre, qui photographiaient absolument tout sur le parcours, je me demandais si elles établissaient la moindre échelle parmi les œuvres qu’on envisageait ensemble !? C’était long et sans rythme, je ne trouvais pas le moyen de les réunir, telles des brebis égarées je ramais et j’ai dû déployer des trésors de patience notamment quand je me retrouvais planté à parler tout seul. Le pire pour un guide est de ne pas être écouté.

 

- La plus agréable ?

Je n’ai pas la réponse, chaque visite est nouvelle en dépit du parcours qui est le même, puisque ce sont de nouveaux invités et donc une autre équipe. De prononcer à haute voix avant chaque visite la phrase « ça va être une bonne visite » m’aide à envisager ce moment comme un moment à part et toujours différent, sans compter les surprises qui peuvent advenir. Des nouveautés, des peintres en action, une rencontre… c’est chaque fois pareil et différent. De toutes mes visites, environ 384 à ce jour, je garde un bon souvenir.

Seulement, je peux citer ma visite fleuve, puisque tu faisais partie de l’équipée chère Evelyne, sept heures de visite entre Vitry et Porte de Choisy ! 10h00 – 17h00, c’est un record difficile à battre !

 

- Quelle est la question que tu n'aimes pas que l'on te pose ?

La question classique, c’est « Vous faites d’autres visites ? ». Là, je bois du petit-lait car je n’en affiche pas moins de quinze à mon actif et je suis content de les mentionner. Mais celle que je n’aime pas, c’est la question intrusive des finances, parce que les salariés ne comprennent pas qu’on peut être indépendant, c’est trop loin d’eux, aussi ils me demandent sans ambages « Est-ce que vous êtes employé par la mairie ? » « Vous arrivez à en vivre ? » Mais, est-ce que je te demande ton salaire, frère !?

 

- Celle que tu aimerais que l’on te pose ?

Encore une question difficile et donc bien sentie. Elle me laisse rêveur… « Pourquoi avez-vous choisi le Street-Art comme sujet de conférence ? ». On pourrait dire d’éloquence aussi. Pourquoi, parce que comme dit Banksy : " Personne ne rechigne devant le prix du ticket d’entrée » pour le Street-Art et de ce point de vue, c’est un art démocratique. Ouvert à tout public.

 

- L'Art urbain est en plein essor depuis quelques années, est-ce que tu y vois une mode ou bien un courant qui va se développer encore, et faire partie de notre quotidien urbain ?

C’est une révolution majeure dans l’histoire de l’art et le Street-Art est l’art du XXIème siècle, s’est établi comme tel depuis maintenant vingt ans. Il a les racines nécessairement puissantes donc suffisantes et l’inscription dans la tradition pour rebondir et se réinventer, je suis confiant dans la créativité des artistes. Je le vérifie tous les jours à travers mon fil d’actualité.

La question d’ordre moral est de se demander si la récupération de cette expression libre à des fins commerciales, je parle des enseignes pas des galeries, est bénéfique au mouvement ? Peut-être, comme la BD peut amener à lire des romans, y compris ceux de Dostoïevski ou de Joyce et Faulkner. Boris Vian.

- Y’a-t-il une question que je ne t’ai pas posée à laquelle tu aimerais répondre ?

Oui, elle aurait trait avec le Hip-Hop, dont on a fêté l’an passé le 50ème anniversaire, d’après la date de la soirée animée par Kool-Herc aux platines pour la rentrée de sa petite sœur, qui est considérée comme la première « Block-Party ». Bien sûr, elle avait lieu dans le Bronx, car tout le mouvement est parti de ce quartier sous-valorisé, on dirait relégué ou sensible, pourtant les habitants ont créé l’art du XXIème siècle. Et comme on parle de musique là, tu remarqueras que c’est le même creuset, la même marmite que là où a « bouilli » le Blues à la Nouvelle-Orléans à Storyville, qui était un quartier aussi mal réputé. Pareil, comme le précise Ahmad Jamal, ils ont inventé « la musique classique du XXème ».

HAÏKUS DU VERGER

PAYSAGE D’UN CERVEAU - AOÛT.24 - LE MESIL-SAINT-GEORGES / LES LILAS


Avant-propos

J’ai essayé de lire dans les reflets du temps les signes de l’impermanence. Par ce présupposé je veux dire que toute chose vécue n’est que le ressouvenir d’un « éternel retour ». « Où était votre moi avant votre naissance ? ». Ce qui est assez représentatif de l’esprit du Zen, du Zazen, comme disent les érudits japonisant, le Ch’an comme précisent les sinophiles pour définir cette branche du Bouddhisme qui se prêtait si bien à mon voyage dans la campagne intérieure. Tout m’était signe de la vitalité du monde, que le sage guette la tête dans le ciel, au risque de choir dans le plus vil des trous herbeux, tel Pythagore.



1.      Dans les reflets polyphoniques d’un
tracteur qui passe
j’entends les psalmodies venues de l’espace

 

2.      Dans la cabine téléphonique
le long de la vieille avenue
Je compose le numéro
d’un passé non avenu

 

Haïkus du verger

3.      Dans le verger le soleil s’installe
Les poires tournent leurs joues
Pour que leurs couleurs soient étales

 

4.      Sur l’arbre du jeune mûrier
Un crissement se fait entendre
Dans le silence le pas d’un ver sur le tendre

 

5.      Au creux du vieux prunier
Semblent nicher tous les oiseaux
Ils piaillent haut et c’est la rue

 

6.      Le ciel suspend son vol en plein été
Les étourneaux lui volent le mouvement
Au crépuscule ils sont une nuée

 

7.      La pomme vidée est tombée dans l’herbe verte
Dans ce mouvement altier et ultime
Elle s’est talée ouverte

 

8.      Sur l’azur moutonnant de nuages
Le papillon blanc danse son vol
Il apparaît chaque fois qu’il passe à contre-champ

 

Principes Zen I

« Quel est le son d’une seule main qui claque ? » Koan Zen
« Où était votre moi avant votre naissance ? » Koan Zen
« Quelle est la nature du Bouddha ? » Koan Zen


9.      Le papillon vient se poser sur mon poignet
Ses couleurs vibrionnent
Il rouvre ses ailes un an a passé

10.  L’araignée fraye son chemin
Sur le fil d’une ombelle
Toile verticale ou parchemin

11.  Sur la fleur de trèfle irisée
Le grillon vient frotter ses élytres
Il en tire un blues inspiré

12.  Dans l’herbe grasse d’un été pluvieux
Elle avance son ruban mordoré
La limace au trait lumineux

13.  C’est la nuit des étoiles filantes ce soir
Dans le ciel couvert et tout noir
Je ne vois que la fumée d’un encensoir

 

Principes Zen II

« Il faut un doigt pour désigner la lune, mais celui qui prend le doigt pour la lune ira droit comme une flèche en enfer » sentence rapportée par Nicolas Bouvier*
« La nature du Bouddha c’est une livre de lin blanc et une nouille pourrie » id.


14.  Résonnent les airs du piano au loin
Dans le jardin et ses plis ombrés
Je lance les dés de l’été sur la portée

15.  Dans l’air immobile comme de l’huile
La chaleur tuile les rayons à la loupe
Par d’incessantes vaguelettes qui chaloupent

 

16.  Quand sonnent les heures au clocher du village
Les tournesols parcourent leur même trajet
Eternel ainsi que le jour n’a pas d’âge

 

17.  « J’ai descendu dans mon jardin »
J’y ai cueilli du serpolet
Pour le geste du poignet et le lapin

 

Principes Zen III

Le battement d’ailes du papillon, qui dure un an, comment le tourner en Koan ?
« Est-ce que tu as vécu l’année du battement d’aile de ce papillon ? »


18.  Le hérisson avance à pas fripons
Dans la nuit son allée est tracée
Mais ne pose pas ton pied _ frisson !

 

19.  Au creux de la paresse du transat
J’interprète le son d’une Passat
Comme la trompette d’une intrigue d’Exbrayat

20.  Sur les partitions du soleil
L’oiseau treille son chant
Le jour au milieu des champs

21.  Le corbeau tend son pas sur le fil
Electrique se balançant au rythme
De sa chanson psychédélique

22.  Le corbeau dans le sillon vide des blés
A cru qu’il suffisait de croasser
Pour que la terre dise je te crois

 

23.  Dans la brume cet émoi au fond du verger
Je croyais distinguer à l’allure des peupliers
La foule des amis inconnus de moi

 

Principes Zen IV

Sentir le vide n’est-ce pas sauter dedans sans tomber ?
« C’est l’éternelle vitalité qui importe, non pas la vie éternelle » Friedrich Nietzsche**


24.  Sur les briques du mur de la resserre
Le lierre improvise un blues
Dans le vibrato de Charlie Parker

25.  La fourmi traine d’ouvrière sa blouse
Sur la prairie affairée de l’été
Dans un savant accord de blues

 

26.  Paysage d’un cerveau j’écoute la radio
Au rythme des sons je décolle
Le nombre de temps sur le banjo

27.  Dans l’âtre du buisson ardent
Des oiseaux brûlant de piaillements
J’entends ta voix ma maman

28.  Le souffle du vent sur les feuilles de lierre
Est aussi celui sur son anche d’alto
De Bird planant dans son glissando – avec Guy Dumont

29.  Sur l’orbe du rosier la treille
Vient se poser la tourterelle
Elle chante à nul autre pareil

 

30.  Le vieux pêcher est tout fripé
Les ramures dévotes de sa jeunesse me tendent
Des bras pleins de promesses passées

 

31.  Dans la fumée blanche du feu de camp
Je comptabilise dans les couleurs et dans les traits
Le portrait de mes emphytéotiques descendants

32.  Dans le reflet clairet de la rosée
Se nichent le miroir aux alouettes
Il faut que je peigne leur aigrette

33.  Dans le sous-bois transparait le soleil qui poudroie
Et le sol à la cote quatre-vingt
Qui se dérobe sous mes escarpins

 

34.  Sur la souche d’un arbre tombé en 1999
Je creuse mes racines à l’essartage
Pour compter les cercles neufs et lire mon âge

 

35.  En souplesse tout à la liesse de marcher
Dans les chemins minés
Se projeter du torse à l’entorse

36.  La pie vole de branche en branche
Sur le ciel d’ouate du mois d’août
A la dérobée du raout

 

Principe Zen V

« Le hasard fait loi » dixit ma mère est-ce assez dépouillé de sens historique pour être Zen ?


37.  A l’orée du champ de betteraves
Il me regarde l’air grave
Roux le renardeau quitte le paysage


38.  Dans la clairière j’entends résonner
Clair le cri d’un rapace sur l’arc des cimes
Il me tend la toise de l’espace dans son bec

 

39.  Les chenilles processionnaires brûlant la flamme
Dans la triade des visées visionnaires
Leur parade vaut bien toutes les olympiades

 

40.  Sur la chaise-longue des journées convalescentes
Dans la lumière congruente de mes lectures
Je devine le dessin de mes fêlures

 

Principe Zen VI

« Est-ce qu’il est impossible de faire une photo ? » Nicolas Bouvier*


41.  Sur la mer de maïs flotte le drapeau noir
Du pirate de ces latitudes
La corneille picore à son habitude

42.  Il faut quitter ce champ de maïs où tu t’affiches
Reprendre un sentier un endroit de parisien
Mais non tu ne trouves qu’un hallier où tu n’es rien

43.  Les coquelicots de « L’Anamour » pavent mon champ mental
D’une substance de pavot paranormale
Me donnant à voir le paysage d’un cerveau

44.  Les meules de paille aujourd’hui sont enrobées
D’une belle matière plastique d’un bleu électrique
On dirait disséminés sur les chaumes de géants acidulés 

45.  Si j’entre dans le hameau au pied des éoliennes
Replié sur sa mare et son nom de Welles-Pérennes
Est-ce que le vent sera une histoire qui dure

 

46.  Welles ce ne sont pas les trompettes de Jéricho
Qui feront tomber les murs de Pérennes
A moins qu’au cinéma j’en ai pas eu l’écho

 

Principe Zen VII

« Il n’y a pour toi qu’un seul commandement : sois pur (clair) » Friedrich Nietzsche**

 

47.  Le long de la pente serpente l’allée boisée
J’y croise les souvenirs au passé présentés
Tout en bas de la descente de Pérennes

 

48.  Dans le vallon s’étalent les campagnes et se toisent
Les bois mais toi qui pavoises tel un héraut
Où t’amènent tes pas de samouraï qui se croise

 

Principe Zen VIII

A la mort du maître, remettre les clés du monastère au jardinier, plutôt qu’au bonze, il sera plus dans le courant de la vie, cité par Nicolas Bouvier*


49.  « La main coupée » le pied foulé j’avance au cœur
De l’été dans un fatras de ronces je pense à Cendrars
La bataille de la Somme et ses traumas

50.  Eté 42 dans le staccato des violons longs
De la saison se joue le drame à peine voilé
D’un après-guerre sur un fil de fer barbelé 

 

 

Epilogue

J’ai mis mon séjour dans mon carnet. Mes impressions sont mêlées à celles de mes lectures, Nicolas Bouvier* pour les Chroniques du Japon, Payot et Rivages, 2001, Friedrich Nietzsche** pour les Considérations Intemporelles, Aubier, 1978 et Dizzy Gillespie pour les entretiens et la bande-son (Dizzy Atmosphere, Actes-Sud, 1991). Pour le cheminement introspectif, j’ai posé mes questions sous forme de rubriques :  Principes Zen. J’ai souhaité conclure sur la mémoire des anciens, les soldats pleins de foi à l’instar de Blaise Cendrars qui s’engage dans la Légion Etrangère en 1914 comme beaucoup d’artistes apatrides à cette époque pour défendre une certaine idée de la France, Guillaume Apollinaire y a perdu la vie, ce sont encore des modèles.
In memoriam !

Entretien avec Evelyne Lebouvier, août 2024 - (1/3)

- Zig, Siegfried, Sigismond, 3 prénoms pour une seule personne, c'est assez singulier, comment doit-on t'appeler ?

Depuis mon objection de conscience, en tant que « bulliste » soit le réceptionniste dans sa bulle de verre, à Théâtre-Ouvert, c’était en 1993, où l’équipe m’appelait Sieg-Sieg ou Zig, c’est devenu mon blaze. C’est l’abréviation de mon prénom et c’est plus facile à prononcer ! Quand Facebook en 2017 a supprimé mes trois comptes ; à mon nom à celui de Henri Salvador et de Pierre Barouh, que j’avais usurpés, j’ai choisi Sigismond comme pseudonyme.

Il est assez proche de Siegfried, de par les origines burgondes et le nom sonnait bien à travers l’inflation de noms anglais et de jeu de mots. J’allais pouvoir ramener un nom mérovingien pour la gloire des anciens, dont Sigismond de Luxembourg qui semble-t-il compte parmi mes ancêtres. Le nom de CASSIDANIUS est celui de ma mère, il signifie, « le domaine des chênes ». Assez facilement, je dirais que je cultive mes racines avec ce patronyme qui sonne diablement ancien. J'ai toujours su qu’il deviendrait mon pseudonyme depuis que j’ai commencé à écrire avant je signais et je taggais HVS pour « Herr von Sie », LOL !
C’était l’époque de « Happys Days », dans les années 80, avec « Fonzie » le loubard au grand cœur.



- Siegfried, un prénom qui a des consonances germaniques si je ne me trompe, que signifie-t-il ?


Ça a été un prénom difficile à porter en Seine-Saint-Denis où je suis né, pour lequel mes parents ont dû demander une dérogation pour ce prénom allemand, les copains à l’école primaire m’appelaient « Steak-frites » ! En opposition à la vulgarité de ce plat, je me suis construit une personnalité élitaire en banlieue, le lieu au ban, la marque de la frontière. Siegfried veut dire la « Victoire par la Paix », c’est le deuxième opéra de la Tétralogie de Richard Wagner, je n’aime pas ses idées politiques, mais comme Baudelaire, j’admire son génie romantique.

Siegfried est un héros emblématique des légendes desquelles je suis pétri, tant par la musique qu’on écoutait beaucoup à la maison, sur « Deutsche Grammophon » par Otto Klemperer ou Herbert von Karayan ; que par mes origines lorraines et franc-comtoises, où il y a beaucoup d’influences suisse et allemande dans la « Culture » et dans la culture populaire.


- Tu es Guide urbain et tu as une formation d'historien, tu as été Directeur de centre aéré, tu écris, tu fais des conférences...A l'image de tes 3 prénoms, cela fait plusieurs casquettes à porter. Est-ce que, par exemple, ta formation d'historien t'aide dans la conception de tes visites ?

Sûrement, en bon nostalgique je privilégie ce qui est ancien ou qui renvoi à l’histoire. Il y a des artistes qui portent des discours historiques, je pense à C215, le peintre des batailles dans la tradition dont il se recommande et à Icy & Sot, dont l’argument historique de la guerre Iran-Irak, me touche naturellement. Mais si j’aime l’histoire, je pense que la vie doit l’emporter et je ne suis pas conservateur.

Aussi, je m’inspire de mon autre casquette, d’animateur-jeunesse pour illustrer mes commentaires des œuvres, en donnant la parole à mes invités, je pense qu’une bonne visite avant le contenu de savoirs échangés est un moment de vie partagé. Car c’est une équipe un groupe et avant tout, un moment où chacun se sent libre de prendre la parole. C’est ma fonction de pédagogue qui revient. Et ma formation d’animateur, car j’ai eu une formation pour la scène jeune-public au Théâtre des Roches à Montreuil pendant plusieurs stages, ensuite pour les séjours ou les ateliers j’étais le référent de l’équipe dans ce domaine. On a d’ailleurs fait quantité de spectacles, j’aimais bien les contes africains.
Il y a des enfants que j’ai vu prendre comme leur autonomie de penser, qui se sont révélés…



- Et ton expérience dans la Petite enfance ?


Elle m’a beaucoup apporté du point de l’accès à la culture. Ayant travaillé en école maternelle et en primaire, dans des quartiers dits « sensibles » j’ai eu à cœur de faciliter aux enfants une ouverture sur le monde. J’avais ainsi fait l’objet d’un entretien pour un mémoire de Master II, par Mery BOUFFIL, elle est aujourd’hui responsable du pôle « Publics » aux archives de la mairie de Nice, à propos de l’ouverture aux pratiques culturelles, car le centre de loisirs fréquentait beaucoup « la galerie des bibliothèques », qui m’avait repéré.

Ça me rappelle une année, avec les grandes sections, nous sommes allés dans plusieurs lieu de culte, un temple hindouiste, une mosquée et une église. J’avais eu des remontées négatives après l’église d’ailleurs, pourtant ce n’était pas dans un objectif cultuel mais bien culturel. Partager, c’est s’enrichir selon moi, et la vraie richesse de notre époque, c’est l’information comme me l’a appris mon vieux maître Toni NEGRI.

OBEY l’a écrit place Igor Stravinsky à Paris : « Connaissance + Action = Pouvoir »



- Cela fait xxxx ans que tu arpentes les rues de Paris, peux-tu dire que tu connais Paris comme ta poche ? As-tu des quartiers, des arrondissements que tu préfères ?


Je me souviens d’une étude par l’université de Bordeaux, qui montrait que les étudiants connaissaient certains quartiers de la ville, fonction de la ligne de métro à côté de chez eux, qu’ils empruntaient le plus. Je suis un enfant de la ligne 11, l’ancienne ligne 3 qui finissait à Porte des Lilas. C’est pour ça qu’Eddy Mitchell chantait «station Opéra, direction Lilas». La ligne 3 a été déviée en 1971 vers Porte de Bagnolet et on a créé la 3bis jusqu’à Gambetta qui est la plus petite ligne du réseau de Paris… donc la ligne 11 dessert Châtelet comme terminus et c’est mon point de chute naturel.

J’y ai toute mes mythologies personnelles et celles de mes parents qui se sont connus boulevard de Sébastopol à l’Agence BN de la Société Générale, celle des mandataires aux Halles qui y avaient leur compte et c’était haut en couleurs d’après leurs récits. La cheffe de service de ma mère était « Rose », c’était la mère de l’acteur Jean-Pierre KALFON, que j’ai toujours adoré, il a joué dans quelques Truffaut.

C’est drôle come les mythologies de la génération d’avant, fonde la vôtre dans un autre mouvement… Aussi, ma mère nous a amenés très jeunes, rien que pour voir les vitrines de Noël à la Samaritaine ou au BHV. On allait place du Châtelet, on franchissait « Sébasto », on passait à la fontaine des Innocents, jusqu'aux Halles de Ricardo BOFIL à l’époque avec les mosaïques de Fabio RIETI dans les espaces intérieurs et devant chaque escalator.

C’étaient des animaux lointains et justement j’ai beaucoup aimé ce décalage des œuvres de celui que je rencontrai pour une exposition en 2018, mais sans savoir qu’il en était l’auteur, c’est sa petite fille, LOUYZ, qui me l’a appris récemment. Comme quoi, tout est relié et la vie est un éternel retour. J’ai connu le centre de Paris, donc, mieux que les alentours de chez moi, assez tôt.



- As-tu le même intérêt, le même attrait pour la banlieue parisienne ?


Bien sûr que j’aime mieux Paris, c’est une ville qui nous est envié de par le monde entier. Je la connais bien, et pour revenir à ta question précédente, je connais très bien les quatre premiers arrondissements, en tant qu’étudiant, j’étais à Jussieu et j’ai beaucoup arpenté le Quartier Latin à ce moment. En tant que guide ou simple promeneur, j’ai découvert des endroits, que j’adore comme les rares cours qui demeurent dans le XIVème arrondissement, la Petite Ceinture et sa portion ouverte dans le XIIIème, « La Petite-Alsace » dans le même arrondissement.

Mais il y a un quartier qui m’impressionne, c’est le XVIème, je suis toujours choqué par la largeur des avenues du Mahatma Gandhi et de Mozart par exemple. Mais dans le XVIème, j’adore la rue, presque le sentier, qui longe la maison de Balzac… Il y a longtemps, quand vous marchiez dans les rues pavillonnaires de la banlieue, vous ne manquiez jamais d’avoir peur d’un molosse écumant qui saute sur le grillage à votre passage. C’est le pire de la banlieue.

Mais je dois dire que j’apprécie de me promener dans ces rues au printemps quand les arbustes jouent leur symphonie de fleurs, leur concerto de couleurs et d’odeurs. C’est ce que j’ai vécu à Montreuil la dernière semaine du confinement en 2020, la banlieue c’est pour moi un air de liberté par rapport aux côtés à l’équerre et à la pollution de la capitale.



- Comment prépares-tu tes visites ?


Goethe a écrit « Les Affinités électives » c’est un beau livre et je garde le titre pour qualifier mes interventions. Je fais mieux partager ce que j’aime, donc je procède d’abord depuis mon intérêt personnel. C’est un registre qui peut recouper nombre de centres d’intérêts que j’ai et aussi, puisque choisir c’est renoncer, à en éviter scrupuleusement d’autres.

Je n’aime pas bien les visites « mainstream » comme la Butte-aux-Cailles ou le boulevard Vincent Auriol. J’aime découvrir de nouvelles œuvres, il y en a aussi dans le XIIIème, mais c’est bien de sortir du cadre, comme les artistes. Depuis plusieurs années je travaille sur la notion de Grand-Paris, en commençant à Paris pour finir en banlieue. Je trouve intéressant de montrer les transitions qui ont été mises en place. Tant par de nouveaux ouvrages pour désenclaver un quartier par une passerelle sur l’A4, que par les artistes locaux appelés à manifester leur talent par des prestataires privés ou par les pouvoirs publics.



- Te souviens-tu de ta première visite ?


Oui, évidemment ! Ma marraine dans les visites est Bénédicte PILET, de l’agence Fresh Street Art Paris. C’était fin octobre 2018, pendant les vacances de la Toussaint, un tour de Belleville en anglais pour des étudiants des Pays-Bas je crois. On s’était réparti le terrain, elle le bas-Bellevile et moi le haut, retour à Ménilmontant en deux heures.

J’avais demandé 40€, à l’époque je travaillais pour Demian SMITH, un « english » assez lunaire. J’avais eu le plan par Heaven au Collectif 3 Couronnes où je squattais tous les jours depuis le 15 août 2018 et la fresque de MOANO. La Friche 3 Couronnes m’a permis de rencontrer beaucoup d’artistes, dont certains que je compte encore au nombre de mes amis ou de connaissances.



- Aurais-tu une anecdote à nous raconter ?


Oui, je me souviens d’une visite pour un groupe de 80 jeunes filles d’un pays de l’est de l’Europe, sur les trois guides prévus, j’étais le seul à être présent. Il a donc fallu que je fasse la visite pour 80 personnes à moi tout seul. C’était encore avec Demian, en 2019. J’ai commencé par parler à tout le groupe, mais très vite je n’ai plus parlé qu’à celles d’entre elles en tête à mes côtés et pour les autres, j’ai juste assuré le tour. Je me souviens du problème pour faire traverser à 80 personnes la rue de Ménilmontant !



- Tu appelles respectueusement "tes Invités", les personnes qui participent à tes visites, pourquoi cette dénomination ?


C’est encore l’école Kasia, elle m’a toujours parlé de nos « guests » ce qui se traduit par invités, ce ne sont pas des « customers » ; j’ai trouvé la distinction jolie et je l’ai gardé comme expression. Car mes invités apprennent de mon tour comme ils m’apprennent à mon tour. C’est une relation cordiale, de gré à gré et je ne dois pas oublier la dimension humaine et me commettre dans le seul aspect économique.

Jam Paris Sous Les Bombes / SPOT13

Nous sommes face au mur !
Le dos à la sono, qui ventile par sons interposés, les couleurs des fresques. "Top Graff" pour cette jam, le thème en est "Paris sous les bombes" ; une "battle" de peinture, qui met aux prises deux équipes. D'un côté de la scène BROK CHEK MIZER NESTA avec ZOYER : les rouges et de l'autre BLADE DESY MG SHORE avec KRACO : les bleus. Deux équipes, qui alignent des pointures et travaillent dur à faire monter le niveau alors que, s'accroît la pression, car l'horaire de fin approche… Cinq heures moins le quart et la peinture s'élève d'un quart ; "battle" d'échelles pour les noms des acteurs. Le générique s'écrit en haut de l'affiche. De l'autre côté c'est le nom du "cru" par SHORE. MG trace une géante "bomba". Le personnage, casquette à l'envers et l'œil grand ouvert tient à la main un métro façon lampe torche, qui projette un rayon fluo par son hublot. YELLOW tient le micro et DJ GERO, les platines qui turbinent au rythme du "Soleil des Tropiques". KRACO et ZOYER mettent la main à la pâte, ils ajoutent leur patte d'une griffe bien sentie, au travail en équipe, le fruit. Affinent les détails, le contour d'un lettrage, lui donner un tour habile, rajouter un "perso" dans un angle de la page, comme le détective Rouletabille au coin de l'enquête. Mais t'inquiètes, Hip-Hop dans la foule présente d'emblée partante pour se rincer les mirettes et en attendant, pour se restaurer à la buvette. Zoyer en "Zulu" zen zigzague 2 Paris des z'aurores sous le zénith du Spot 13. "On va s'aimer" dans le dernier quart d'heure américain. SHORE inscrit les noms des protagonistes. Tous les ami-e-s sont là. Ils ont éclos comme une fleur de terrain sur la vague de la jungle urbaine. Il ne reste que dix minutes, les supporters sont plus nombreux, le phono égrène les tubes des années d'avant. MG rajoute les néons de son métro comme les ombres portées du mot GRAFF. C'est fini ! C'est l'heure des photos. "Paris sous les bombes" de NTM résonne, le titre éponyme de la jam. Tous réunis, on est deux-cents anonymes. Les boites à caps circulent pour départager les deux murs; à cour les rouges, à jardin les bleus. Les deux murs s'affichent en majesté sur fond de week-end d'été, où l'on pourra dire : "J'y étais". Comme sous les pyramides, d'ici, 40 siècles de graffiti vous contemplent. Les peintres sont félicités à leur juste mesure et célébrés comme des modernes statures. L'équipe des bleus à remporté le challenge ! Félicitations !

MESNAGER

La poésie des corps blancs à son summum, l’érotisme à son pinacle, le frou-frou artistique à son faîte… tout l’édifice tient sur la poutre-maîtresse de la nostalgie et dans la dédicace au « peintre de la vitesse » : Robert Malaval. Car le jour de son décès naissait notre peintre… !
La présence du bonhomme-blanc sur les murs des maisons murées marque l’absence de ses habitants, une empreinte qui n’a pas manqué de jalonner de manière indélébile, mes premières pérégrinations dans le Paris démembré et la Belleville rachetée par les promoteurs à la fin des années 80. Ses références fugaces, vont aux fantômes des lieux. Passage de la Duée enterrée, rue des Pavillons disparus ; rue du Transvaal amputé ; l’absence tellement présente de ses habitants, s’incarnent dans les traits de cet anonyme. Personne n’est plus là que les silhouettes des habitants passés. Dépassés, rattrapés par la course au profit, comme C’était un petit jardin de Claude Lanzmann chantée par Jacques Dutronc. Tout n’est plus qu’une inscription en creux, par le manque, toute référence est nostalgique puisque le présent s’efface au profit de la présence du passé. Je me souviens d’avoir tenté d’épuiser ces « espèces d’espaces » à l’instar de Georges Pérec, et d’avoir dû comme lui revoir mes ambitions, la ville avançait plus vite que nous. Me restent quelques souvenirs épars et des photos à défaut d’être argentées au moins argentiques, comme réminiscences. L’artiste a guidé mes pas, des ruisseaux de Ménilmontant à la Grande muraille de Chine, il m’a transporté sur le devers et sur l’ubac de ces pentes, il m’a guidé au gré de ses corps blancs comme autant d’étoiles accrochées au firmament des rues.

JON BUZZ

Dans le désert de la soif, en voyant quelques gouttes d’eau perler sous le sac en matière plastique et un petit dépôt se former dans la coupelle posée dessous, le cavalier eut un sourire. Toujours ce vieux truc de vider la bombe à l’envers, son dispositif avait été cap de verser l’humidité nocturne du désert par la buse prévue à cet effet. Fresque rue des Pruniers, Paris 20, novemmbre 2023 ©Sigismond Cassidanius
Il avait encore du chemin jusqu’au lac Texcoco, pensa-t-il en flattant l’encolure de Jolly Bumper. Arrivé à Tenochtitlan, il chercherait Huitzilopochtli, en commençant par le Templo-Mayor et, si les augures du colibri lui étaient favorables, il le trouverait à gauche de celui-ci. Le soldat réincarné, l’allégorie du soleil vainqueur, sol invictus. Fresque rue des Pruniers, Paris 20, novemmbre 2023 ©Sigismond Cassidanius
Mi-traversé par la pensée de la chaleur qui allait l’accabler tout le jour, mi-concentré sur l’ajustement de sa selle sur le dos de Joli Briefer, il mâchonnait cette pulpe rouge de saguaro qui lui avait coûté ses doigts. Les cactus sont particulièrement hauts dans ce pays, dépassant de beaucoup le garrot de Joyeux Brushing. De pied en cap ils atteignent plusieurs fois sa taille de buse. Il est un peu perché. Fresque à l'Îlot 27, Pantin, décembre 2023 ©Sigismond Cassidanius
En regardant le soleil levant se mirer sur l’immensité mordorée, il chargea les zbeuls dans les fontes de Joie et Bonheur, puis JB enfourcha sa fidèle monture et partit pour un nouveau mur.

LOUYZ, le pari étal du trompe-l'œil

Ses pinceaux courent sous la mansarde, virevoltent dans le cadre ; le débordent, remontent le long de la lézarde, de là s’étendent et se déploient sur le mur pour qu’une jungle nouvelle surgisse. L’artiste leur prête libre cours et ils y laissent son empreinte, celle de LOUYZ. Comme un surgissement, apparaît alors le paysage de la ville en toile de fond gris-bleu-horizon, afin de mettre en lumière l’éclat de couleur de la végétation et la scène animalière qui se joue hors le mur, au-travers d’un trompe-l’œil. Parfois, c’est un ara qui prend son envol (le 27 Pantin), ou un tigre alangui (Italie2) ou encore un colibri qui butine une fleur de Lilas (le jardin de l’art urbain aux Lilas). La jungle des villes s’ouvre à des « dé-paysages » et à de nouvelles perspectives sur les ombres de la caverne de notre pseudo-réalité. Nos impressions sont trompeuses, essentiellement axées sur le consumérisme, alors que la quête de la vérité appartient au cœur… Cette technique du trompe-l’œil est la marque de fabrique de l’artiste. Ou plutôt, son originalité vient de l’usage qu’elle en fait, mêlé à la pratique du Street-Art, pour ouvrir un pont, une brèche, une croisée dans la ville. Une fenêtre sur nos aspirations de nature, nous les citadins, à ce point dénaturés. L’artiste se situe au carrefour du muralisme et du Street-Art, ce qui la prédispose à être originale. Cependant, ses sujets et la façon dont ils lissent les pignons borgnes de nos rue aveugles, donnent à voir une autre réalité ; le poète disait : « Il n’y a rien de plus vrai que ce qui est imaginaire dans un autre monde ». LOUYZ l’illustre parfaitement. (*1). LOUYZ est issue de la tradition du muralisme, car à l’origine était la peinture murale de son grand-père, un peintre qui a conquis le public avec notamment deux trompe-l’œil, l’escalier monumental à la station Étienne Marcel et les fenêtres de Beaubourg.
Fabio Rieti était un artiste habité, un passionné de musique et de poésie, une âme vibrante dans le concert de la création. Pour preuve, son hommage à Jean-Sébastien Bach à l’angle de la rue éponyme de Paris 13ème, le mur qui établit le point d’orgue des trois générations, puisqu’il a été peint par le maître en 1980 et restauré par sa fille et sa petite-fille en 2016. Il commence sa carrière par sa collaboration avec l’architecte Émile Aillaud, qui va durer quinze ans, avec lequel il couvre de mosaïque la façade de grands ensembles comme à Grigny, Courbevoie, Chanteloup ou Bobigny. Les grandes tours nuages à Nanterre, c’est lui ! Il se tourne vers la figuration et réalise « Les fenêtres » sa première peinture murale en 1975. Italien né en 1925, sa famille quitte le pays à cause des lois de l’État fasciste pour Paris, puis les Etats-Unis. Là, il s’initie à l’art de la mosaïque, ce qui l’amènera plus tard à la peinture murale. Il pose ses valises à Paris à l’âge de trente-et-un ans. La fresque du métro témoigne de cette période, cet homme qui porte les valises de l’exil, c’est lui qui remonte la pente pour retrouver sa fille qui lui tend les bras. Les musiciens de l’orchestre sont une référence à Bach enregistrée par Glenn Gould et Yehudi Menuhin (*2) et à son père, compositeur.
Il est décédé en octobre 2020. Il est un pionnier dans son art, reconnu comme tel par ses pairs. Il l’a transmis à sa fille Leonor, qui l’a porté et soutenu. Elle a élevé sa propre fille, Louise dans ce savoir, presque cette croyance. LOUYZ a créé la structure « Artomur » pour réunir leurs trois pinceaux et se situe donc de façon atavique à ce croisement.Être au croisement signifie être visible, c’est une façon d’apparaître « On the corner » (*3), comme l’album de Miles Davis dont le son inédit sortait de la trompette ; LOUYZ sort du mur, à l’intersection de la technique du muralisme et de l’invasion programmée du Street-Art, avec cette manière qui n’appartient qu’à elle, de réjouir nos murs de réelles présences (*4), je cite : – « C’est le quotidien qui est abyssal. Celui de notre raison d’être, de la rencontre imprévue, peut-être involontaire, avec l‘homme ou la femme dont l’amour changera notre univers, rencontre- Baudelaire le sait- au coin d’une rue ou à travers le reflet d’une vitrine. C’est le mystère qui est si terriblement concret ». Le surgissement d’une scène mystérieuse est donc terriblement concret pour notre espèce et la rencontre avec un des animaux du bestiaire coloré de LOUYZ peut s’avérer riche de sens, d’autant que c’est devenu chose rare dans le monde contemporain, tout occupé à les chasser !
Ainsi sont apparus au gré des festivals en Sologne, au Mans, à Pantin, à Paris ; une foule d’espèces différentes, comme un martin-pêcheur ou des aras et l’emblématique lézard. Il vient peut-être de la proposition initiale de Fabio Rieti, qui avait projeté de dessiner un lézard sur le cube des Halles, avant qu’une de ses amies, à la faveur de l’obscurité dans l’atelier, n’y voit un homme qui marche sur le mur ? Le lézard deviendra donc « Le piéton des Halles ».
Existe-t-il de pluriel à trompe-l’œil, et bien non, on ne dit pas trompe-z-yeux ! Cette singularité de l’artiste muraliste se retrouve jusque dans la langue, et, elle y ajoute sa personnalité et sa propre sensibilité pour nous faire voyager dans l’espace et le temps, un lieu en dehors du darwinisme et des classifications de Linné, un temps pour se situer dans la jungle des villes, se réorienter. Quelques liens utiles • Le 27 Pantin Le 27 – Ville de Pantin • Centre commercial Italie2 Italie Deux | Visite • Le Piéton des Halles, éditions Herscher, 1992 Fabio Rieti – Peinture, textes et errances Peinture, textes et errances – relié – Crevier – Achat Livre | fnac • Le Grand Livre du Trompe-l’œil, Leonor Rieti, éditions Fleurus, 2007 Le grand livre du trompe-l’ il – cartonné – Leonor Rieti – Achat Livre | fnac • Artiste peintre à Paris, peinture trompe l’oeil | Leonor-Rieti et Louyz (artomur.com) • LOUYZ (@louyz_artomur) -Photos et vidéos Instagram • LOUYZ | Facebook 1. Charles Baudelaire : « La poésie est ce qu’il y a de plus vrai dans un monde imaginaire », Carnets, 1855 2. Gould Meets Menuhin: Bach/ Beethoven/ Schœnberg, Canadian Brodcasting Corporation, 1966 3. On the Corner – Miles Davis, production Teo Macero, Colombia records, 1972 4. « Réelles présences » George STEINER, Gallimard, Paris 1991 Texte : Sigismond Cassidanius – Photos LOUYZ - ARTOMUR

MANYOLY

Manyoly nous interroge par son regard oblique et le coté mutin de son expression. Un regard décalé, qui part en quenouille, d'une femme sur les femmes. Au fil des couleurs, le visage se trame mais la matière des cheveux est laissée par l'artiste à votre imagination. Sans être brutal, il est brut, opiniâtre dans son sourire carmin. Manyoly tapisse la ville de portraits de femmes toutes les mêmes et toutes différentes. Une tentative de féminiser la ville (comme elle serait douce alors) de lui rendre la moitié de ses habitantes. L'artiste file la métaphore dans ses toiles urbaines entre Londres, Paris, etc. et Marseille où est son point d'ancrage.
Les portraits comme des grands fétiches sont constitués de bandelettes qui témoignent de plusieurs vies ; fille, sœur, amante, mère, épouse... Elles forment toutes ensemble la momie de la femme unique. La première, qui rendit possible la connaissance : Ève soulève-toi! Manyoly for ever ! Dites-lui que je suis toujours comme elles ; les femmes, toujours sensible à la façon dont s'installent les préjugés envers les minorités. Le dramaturge Ionesco pensait que la minorité a toujours raison. Afin de nous alerter sur le danger des rhinocéros prompts à effacer leurs traces de leur sabots vengeurs, dans leurs charges aveugles. Les premières à être touchées par une dictature sont toujours les femmes ! Sans invoquer les mânes des neiges d'antan, dites-moi où, n'en qu'el pays est Flora la belle romaine ? Où est Sapho ? Et Arsinoé ? Où est Olympe de Gouge, George Sand ? Et Louise Michel et La Passionaria ? Moi, je sais, dans le regard oblique et l'expression mutine des belles dames de Manyoly.