N'allez pas là où le chemin peut mener, allez là où il n'y a pas de chemin et laissez une trace !


Esquisse par ©Le long pour le mur des Flamants roses sis 1 rue des Bruyères aux Lilas

Entretien avec Evelyne Lebouvier, août 2024 - (2/3)

 - La musique tient une grande place dans ta vie, est-ce qu'elle t'accompagne au cours de tes visites, des morceaux privilégiés ?

Impossible de ne pas évoquer la musique dans le rythme des visites. Souvent, j’écoute WeFunk Radio avant, car ça a le don de me mettre sur pied, de me préparer, je ne sais pas bien l’expliquer, mais ce serait un peu comme un métronome. Il y a aussi les musiques que j’aime bien ou que j’ai réécouté récemment. Elles peuvent me donner la pêche, comme on dit en bon français, « a tingle ». Je crois en ferme adepte de Baudelaire à la théorie des correspondances, « j’aime à la folie les choses où le son se mêle à la lumière » et on peut toujours trouver l’écho d’une symphonie dans un bouquet de couleurs, un mur orchestré avec bonheur, je dirais !

Des morceaux privilégiés, comme Dargelos dans « Les Enfants Terribles » de Jean Cocteau, ne veut vivre que des moments privilégiés ? Oui, « back to the roots » un bon paquet de blues et de spirituals comme « West End Blues » de Louis Armstrong ou « In The Upper Room » par Mahalia Jackson. A cela vient s’ajouter le répertoire Be-Bop, « Cool Blues » de Charlie Parker ou « A Night In Tunisia » de Dizzy Gillespie. Enfin, il faut rajouter la crème soul et funk avec Marvin Gaye « Mercy, Mercy Me » mais aussi Sam Cook, Al Green, James Brown, The Isley Brothers « Between The Sheets », The Jacksons Five « I Want You Back » ou « The Pusherman » de Curtis Mayfield. L’emblème, c’est sûrement « Street Life » des Crusaders ou « Native New-Yorker » du groupe Odyssey. Et la culture des bandes originales de films. Je n’en citerai qu’une « Le Corps De Mon Ennemi » par Francis Lai pour le film éponyme.

- Est-ce que tu te considères comme une personne atypique ?

Ah quelle bonne question, je te remercie de me la poser. Oui, je me considère comme un extra-terrestre ou une espèce en voie de disparition, c’est selon les travaux et les jours.

D’abord, parce que je mets du sens en toutes choses. J’analyse et j’interprète beaucoup, parfois trop vite. Je suis vieille école, c’est-à-dire que je crois plus en la qualité, le soin, l’inventivité d’un artiste que son nombre de followers. La quantité à mon sens n’a jamais fait la qualité, au contraire, souvent elle la dénie. Aussi, je juge pour me situer et pas pour le plaisir de juger. Mais j’essaye d’avoir ma pensée propre et c’est là que je me rends compte que le public dans son ensemble, ne veut pas savoir. Il se contentera des récits de la CIA sur l’assassinat de John F. Kennedy. « Gouverner, c’est raconter » disait en substance Nicolas Machiavel, il faut se défier des discours lissés.

Ensuite, parce que j’ai l’impression que mes contemporains ne se soucient pas de savoir, ils se soucient d’avoir. Dans ce sens, je suis atypique, je me contrefiche de posséder, tant que j’ai gardé l’idée. Même les photos parfois, je me refuse à les faire pour laisser infuser et vérifier si j’aime bien ou pas avant d’avoir l’image dans mes dossiers, dans le domaine de l’émotion c’est la force de l’impression le plus important.
Je dirais que je n’ai pas la même échelle de valeurs que la plupart des gens, je n’ai qu’à regarder la platitude de leur Instagram dans le métro par-dessus leur épaule, pour me le confirmer.

- Quel mot utiliserais-tu pour te "qualifier" ?

Poète, au sens littéral. « Poiêsis » en grec, c’est la force de la création artistique. Au sens commun, c’est la profession de celui qui écrit des vers. Je voudrais bien être à la hauteur des deux.

- Est-ce que tu te considères comme un passeur de connaissances ?

Est-ce une perche, tu me connais bien et c’est pourquoi cet entretien, pour parler de Serge Daney ?
Tu sais que c’est auteur important pour moi. Il s’intitule lui-même un « ciné-fils » parce que son père doublait les films américains en français et aller au cinéma, c’était à défaut de le voir, entendre son père lui parler. C’est Monsieur Serge Daney, dont on courrait les articles le mercredi dans Libération. Auparavant, il avait été pendant 20 ans directeur-en-chef de la rédaction des « Cahiers du Cinéma ».
C’est un esthète, il m’a frappé autant par son article sur le traveling de Kapo que sur sa vision des cartes postales son entretien avec Pierre-André Boutang pour la Sept est un résumé de sa pensée. C’est lui qui m’a soufflé cette idée de « passeur » dans les livres que j’ai lu de lui, je citerai « Le Salaire du Zappeur » et « L’Exercice a été profitable, Monsieur », chez POL et dans la revue Positif, le N°1.

 

- Quel est le 1er artiste que tu as découvert ?

Premiers artistes que j’ai connus à la faveur de deux reproductions dans ma chambre d’enfant « Le Lièvre » d’Albrecht Dürer et « Le Clown » de Bernard Buffet. Ils ont contribué à m’interroger sur l’image.

Comme artiste de rue, MESNAGER. J’avais 20 ans, je fréquentais pour la première fois les « Ateliers de Ménilmontant », je suis passé rue de la Duée, là où l’artiste habitait à l’époque et j’ai été saisi par la poésie de ses bonshommes blancs. Et puis, la rue des Partants et NEMO. Les deux dans la même foulée.

Mais ce n’est pas mon premier mur. Le premier, c’est le mur de Berlin en 1986 et tous ces graffitis « Die Mauer Muss Fallen » (le mur doit tomber) et les « Mickey » en caricature avec la poignée de dollars en main… c’est mon premier mur, j’en garde un souvenir ému, en plus on carburait à la « Berliner Weisse ».

 

- S'il y avait un artiste que tu aimerais nous faire découvrir, là, maintenant, ce serait lequel ?

C’est une question difficile, en ce moment, j’aime bien les pochoirs de KLICK. Mais je voudrais citer Léo DIELEMAN avec qui j’ai eu une belle expérience à Belleville, que je compte reproduire à Montrouge !

Cependant, avec l’association, j’ai réussi à réunir certains artistes qui reviennent à travers mes différents projets, parmi eux honneur aux Dames, ADEY, DEMOISELLE MM, DIANE, EMYART’S, LOUYZ, MS BEJA, NICE ART, STOUL et pour les Darons, DOCTEUR BERGMAN, ERNESTO NOVO, JON BUZZZ, LE LONG, etc.

 

- Quelle a été ta pire visite ?

Je crois que c’était avec deux dames sur le parcours de INVADER dans le centre, qui photographiaient absolument tout sur le parcours, je me demandais si elles établissaient la moindre échelle parmi les œuvres qu’on envisageait ensemble !? C’était long et sans rythme, je ne trouvais pas le moyen de les réunir, telles des brebis égarées je ramais et j’ai dû déployer des trésors de patience notamment quand je me retrouvais planté à parler tout seul. Le pire pour un guide est de ne pas être écouté.

 

- La plus agréable ?

Je n’ai pas la réponse, chaque visite est nouvelle en dépit du parcours qui est le même, puisque ce sont de nouveaux invités et donc une autre équipe. De prononcer à haute voix avant chaque visite la phrase « ça va être une bonne visite » m’aide à envisager ce moment comme un moment à part et toujours différent, sans compter les surprises qui peuvent advenir. Des nouveautés, des peintres en action, une rencontre… c’est chaque fois pareil et différent. De toutes mes visites, environ 384 à ce jour, je garde un bon souvenir.

Seulement, je peux citer ma visite fleuve, puisque tu faisais partie de l’équipée chère Evelyne, sept heures de visite entre Vitry et Porte de Choisy ! 10h00 – 17h00, c’est un record difficile à battre !

 

- Quelle est la question que tu n'aimes pas que l'on te pose ?

La question classique, c’est « Vous faites d’autres visites ? ». Là, je bois du petit-lait car je n’en affiche pas moins de quinze à mon actif et je suis content de les mentionner. Mais celle que je n’aime pas, c’est la question intrusive des finances, parce que les salariés ne comprennent pas qu’on peut être indépendant, c’est trop loin d’eux, aussi ils me demandent sans ambages « Est-ce que vous êtes employé par la mairie ? » « Vous arrivez à en vivre ? » Mais, est-ce que je te demande ton salaire, frère !?

 

- Celle que tu aimerais que l’on te pose ?

Encore une question difficile et donc bien sentie. Elle me laisse rêveur… « Pourquoi avez-vous choisi le Street-Art comme sujet de conférence ? ». On pourrait dire d’éloquence aussi. Pourquoi, parce que comme dit Banksy : " Personne ne rechigne devant le prix du ticket d’entrée » pour le Street-Art et de ce point de vue, c’est un art démocratique. Ouvert à tout public.

 

- L'Art urbain est en plein essor depuis quelques années, est-ce que tu y vois une mode ou bien un courant qui va se développer encore, et faire partie de notre quotidien urbain ?

C’est une révolution majeure dans l’histoire de l’art et le Street-Art est l’art du XXIème siècle, s’est établi comme tel depuis maintenant vingt ans. Il a les racines nécessairement puissantes donc suffisantes et l’inscription dans la tradition pour rebondir et se réinventer, je suis confiant dans la créativité des artistes. Je le vérifie tous les jours à travers mon fil d’actualité.

La question d’ordre moral est de se demander si la récupération de cette expression libre à des fins commerciales, je parle des enseignes pas des galeries, est bénéfique au mouvement ? Peut-être, comme la BD peut amener à lire des romans, y compris ceux de Dostoïevski ou de Joyce et Faulkner. Boris Vian.

- Y’a-t-il une question que je ne t’ai pas posée à laquelle tu aimerais répondre ?

Oui, elle aurait trait avec le Hip-Hop, dont on a fêté l’an passé le 50ème anniversaire, d’après la date de la soirée animée par Kool-Herc aux platines pour la rentrée de sa petite sœur, qui est considérée comme la première « Block-Party ». Bien sûr, elle avait lieu dans le Bronx, car tout le mouvement est parti de ce quartier sous-valorisé, on dirait relégué ou sensible, pourtant les habitants ont créé l’art du XXIème siècle. Et comme on parle de musique là, tu remarqueras que c’est le même creuset, la même marmite que là où a « bouilli » le Blues à la Nouvelle-Orléans à Storyville, qui était un quartier aussi mal réputé. Pareil, comme le précise Ahmad Jamal, ils ont inventé « la musique classique du XXème ».

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