N'allez pas là où le chemin peut mener, allez là où il n'y a pas de chemin et laissez une trace !


Esquisse par ©Le long pour le mur des Flamants roses sis 1 rue des Bruyères aux Lilas

HAÏKUS DU VERGER

PAYSAGE D’UN CERVEAU - AOÛT.24 - LE MESIL-SAINT-GEORGES / LES LILAS


Avant-propos

J’ai essayé de lire dans les reflets du temps les signes de l’impermanence. Par ce présupposé je veux dire que toute chose vécue n’est que le ressouvenir d’un « éternel retour ». « Où était votre moi avant votre naissance ? ». Ce qui est assez représentatif de l’esprit du Zen, du Zazen, comme disent les érudits japonisant, le Ch’an comme précisent les sinophiles pour définir cette branche du Bouddhisme qui se prêtait si bien à mon voyage dans la campagne intérieure. Tout m’était signe de la vitalité du monde, que le sage guette la tête dans le ciel, au risque de choir dans le plus vil des trous herbeux, tel Pythagore.



1.      Dans les reflets polyphoniques d’un
tracteur qui passe
j’entends les psalmodies venues de l’espace

 

2.      Dans la cabine téléphonique
le long de la vieille avenue
Je compose le numéro
d’un passé non avenu

 

Haïkus du verger

3.      Dans le verger le soleil s’installe
Les poires tournent leurs joues
Pour que leurs couleurs soient étales

 

4.      Sur l’arbre du jeune mûrier
Un crissement se fait entendre
Dans le silence le pas d’un ver sur le tendre

 

5.      Au creux du vieux prunier
Semblent nicher tous les oiseaux
Ils piaillent haut et c’est la rue

 

6.      Le ciel suspend son vol en plein été
Les étourneaux lui volent le mouvement
Au crépuscule ils sont une nuée

 

7.      La pomme vidée est tombée dans l’herbe verte
Dans ce mouvement altier et ultime
Elle s’est talée ouverte

 

8.      Sur l’azur moutonnant de nuages
Le papillon blanc danse son vol
Il apparaît chaque fois qu’il passe à contre-champ

 

Principes Zen I

« Quel est le son d’une seule main qui claque ? » Koan Zen
« Où était votre moi avant votre naissance ? » Koan Zen
« Quelle est la nature du Bouddha ? » Koan Zen


9.      Le papillon vient se poser sur mon poignet
Ses couleurs vibrionnent
Il rouvre ses ailes un an a passé

10.  L’araignée fraye son chemin
Sur le fil d’une ombelle
Toile verticale ou parchemin

11.  Sur la fleur de trèfle irisée
Le grillon vient frotter ses élytres
Il en tire un blues inspiré

12.  Dans l’herbe grasse d’un été pluvieux
Elle avance son ruban mordoré
La limace au trait lumineux

13.  C’est la nuit des étoiles filantes ce soir
Dans le ciel couvert et tout noir
Je ne vois que la fumée d’un encensoir

 

Principes Zen II

« Il faut un doigt pour désigner la lune, mais celui qui prend le doigt pour la lune ira droit comme une flèche en enfer » sentence rapportée par Nicolas Bouvier*
« La nature du Bouddha c’est une livre de lin blanc et une nouille pourrie » id.


14.  Résonnent les airs du piano au loin
Dans le jardin et ses plis ombrés
Je lance les dés de l’été sur la portée

15.  Dans l’air immobile comme de l’huile
La chaleur tuile les rayons à la loupe
Par d’incessantes vaguelettes qui chaloupent

 

16.  Quand sonnent les heures au clocher du village
Les tournesols parcourent leur même trajet
Eternel ainsi que le jour n’a pas d’âge

 

17.  « J’ai descendu dans mon jardin »
J’y ai cueilli du serpolet
Pour le geste du poignet et le lapin

 

Principes Zen III

Le battement d’ailes du papillon, qui dure un an, comment le tourner en Koan ?
« Est-ce que tu as vécu l’année du battement d’aile de ce papillon ? »


18.  Le hérisson avance à pas fripons
Dans la nuit son allée est tracée
Mais ne pose pas ton pied _ frisson !

 

19.  Au creux de la paresse du transat
J’interprète le son d’une Passat
Comme la trompette d’une intrigue d’Exbrayat

20.  Sur les partitions du soleil
L’oiseau treille son chant
Le jour au milieu des champs

21.  Le corbeau tend son pas sur le fil
Electrique se balançant au rythme
De sa chanson psychédélique

22.  Le corbeau dans le sillon vide des blés
A cru qu’il suffisait de croasser
Pour que la terre dise je te crois

 

23.  Dans la brume cet émoi au fond du verger
Je croyais distinguer à l’allure des peupliers
La foule des amis inconnus de moi

 

Principes Zen IV

Sentir le vide n’est-ce pas sauter dedans sans tomber ?
« C’est l’éternelle vitalité qui importe, non pas la vie éternelle » Friedrich Nietzsche**


24.  Sur les briques du mur de la resserre
Le lierre improvise un blues
Dans le vibrato de Charlie Parker

25.  La fourmi traine d’ouvrière sa blouse
Sur la prairie affairée de l’été
Dans un savant accord de blues

 

26.  Paysage d’un cerveau j’écoute la radio
Au rythme des sons je décolle
Le nombre de temps sur le banjo

27.  Dans l’âtre du buisson ardent
Des oiseaux brûlant de piaillements
J’entends ta voix ma maman

28.  Le souffle du vent sur les feuilles de lierre
Est aussi celui sur son anche d’alto
De Bird planant dans son glissando – avec Guy Dumont

29.  Sur l’orbe du rosier la treille
Vient se poser la tourterelle
Elle chante à nul autre pareil

 

30.  Le vieux pêcher est tout fripé
Les ramures dévotes de sa jeunesse me tendent
Des bras pleins de promesses passées

 

31.  Dans la fumée blanche du feu de camp
Je comptabilise dans les couleurs et dans les traits
Le portrait de mes emphytéotiques descendants

32.  Dans le reflet clairet de la rosée
Se nichent le miroir aux alouettes
Il faut que je peigne leur aigrette

33.  Dans le sous-bois transparait le soleil qui poudroie
Et le sol à la cote quatre-vingt
Qui se dérobe sous mes escarpins

 

34.  Sur la souche d’un arbre tombé en 1999
Je creuse mes racines à l’essartage
Pour compter les cercles neufs et lire mon âge

 

35.  En souplesse tout à la liesse de marcher
Dans les chemins minés
Se projeter du torse à l’entorse

36.  La pie vole de branche en branche
Sur le ciel d’ouate du mois d’août
A la dérobée du raout

 

Principe Zen V

« Le hasard fait loi » dixit ma mère est-ce assez dépouillé de sens historique pour être Zen ?


37.  A l’orée du champ de betteraves
Il me regarde l’air grave
Roux le renardeau quitte le paysage


38.  Dans la clairière j’entends résonner
Clair le cri d’un rapace sur l’arc des cimes
Il me tend la toise de l’espace dans son bec

 

39.  Les chenilles processionnaires brûlant la flamme
Dans la triade des visées visionnaires
Leur parade vaut bien toutes les olympiades

 

40.  Sur la chaise-longue des journées convalescentes
Dans la lumière congruente de mes lectures
Je devine le dessin de mes fêlures

 

Principe Zen VI

« Est-ce qu’il est impossible de faire une photo ? » Nicolas Bouvier*


41.  Sur la mer de maïs flotte le drapeau noir
Du pirate de ces latitudes
La corneille picore à son habitude

42.  Il faut quitter ce champ de maïs où tu t’affiches
Reprendre un sentier un endroit de parisien
Mais non tu ne trouves qu’un hallier où tu n’es rien

43.  Les coquelicots de « L’Anamour » pavent mon champ mental
D’une substance de pavot paranormale
Me donnant à voir le paysage d’un cerveau

44.  Les meules de paille aujourd’hui sont enrobées
D’une belle matière plastique d’un bleu électrique
On dirait disséminés sur les chaumes de géants acidulés 

45.  Si j’entre dans le hameau au pied des éoliennes
Replié sur sa mare et son nom de Welles-Pérennes
Est-ce que le vent sera une histoire qui dure

 

46.  Welles ce ne sont pas les trompettes de Jéricho
Qui feront tomber les murs de Pérennes
A moins qu’au cinéma j’en ai pas eu l’écho

 

Principe Zen VII

« Il n’y a pour toi qu’un seul commandement : sois pur (clair) » Friedrich Nietzsche**

 

47.  Le long de la pente serpente l’allée boisée
J’y croise les souvenirs au passé présentés
Tout en bas de la descente de Pérennes

 

48.  Dans le vallon s’étalent les campagnes et se toisent
Les bois mais toi qui pavoises tel un héraut
Où t’amènent tes pas de samouraï qui se croise

 

Principe Zen VIII

A la mort du maître, remettre les clés du monastère au jardinier, plutôt qu’au bonze, il sera plus dans le courant de la vie, cité par Nicolas Bouvier*


49.  « La main coupée » le pied foulé j’avance au cœur
De l’été dans un fatras de ronces je pense à Cendrars
La bataille de la Somme et ses traumas

50.  Eté 42 dans le staccato des violons longs
De la saison se joue le drame à peine voilé
D’un après-guerre sur un fil de fer barbelé 

 

 

Epilogue

J’ai mis mon séjour dans mon carnet. Mes impressions sont mêlées à celles de mes lectures, Nicolas Bouvier* pour les Chroniques du Japon, Payot et Rivages, 2001, Friedrich Nietzsche** pour les Considérations Intemporelles, Aubier, 1978 et Dizzy Gillespie pour les entretiens et la bande-son (Dizzy Atmosphere, Actes-Sud, 1991). Pour le cheminement introspectif, j’ai posé mes questions sous forme de rubriques :  Principes Zen. J’ai souhaité conclure sur la mémoire des anciens, les soldats pleins de foi à l’instar de Blaise Cendrars qui s’engage dans la Légion Etrangère en 1914 comme beaucoup d’artistes apatrides à cette époque pour défendre une certaine idée de la France, Guillaume Apollinaire y a perdu la vie, ce sont encore des modèles.
In memoriam !

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