N'allez pas là où le chemin peut mener, allez là où il n'y a pas de chemin et laissez une trace !


Esquisse par ©Le long pour le mur des Flamants roses sis 1 rue des Bruyères aux Lilas

Jam Paris Sous Les Bombes au SPOT 13

Nous sommes face au mur !
Le dos à la sono, qui ventile par sons interposés, les couleurs des fresques. "Top Graff" pour cette jam, le thème en est "Paris sous les bombes" ; une "battle" de peinture, qui met aux prises deux équipes. D'un côté de la scène BROK CHEK MIZER NESTA avec ZOYER : les rouges et de l'autre BLADE DESY MG SHORE avec KRACO : les bleus. Deux équipes, qui alignent des pointures et travaillent dur à faire monter le niveau alors que, s'accroît la pression, car l'horaire de fin approche… Cinq heures moins le quart et la peinture s'élève d'un quart ; "battle" d'échelles pour les noms des acteurs. Le générique s'écrit en haut de l'affiche. De l'autre côté c'est le nom du "cru" par SHORE. MG trace une géante "bomba". Le personnage, casquette à l'envers et l'œil grand ouvert tient à la main un métro façon lampe torche, qui projette un rayon fluo par son hublot. YELLOW tient le micro et DJ GERO, les platines qui turbinent au rythme du "Soleil des Tropiques". KRACO et ZOYER mettent la main à la pâte, ils ajoutent leur patte d'une griffe bien sentie, au travail en équipe, le fruit. Affinent les détails, le contour d'un lettrage, lui donner un tour habile, rajouter un "perso" dans un angle de la page, comme le détective Rouletabille au coin de l'enquête. Mais t'inquiètes, Hip-Hop dans la foule présente d'emblée partante pour se rincer les mirettes et en attendant, pour se restaurer à la buvette. Zoyer en "Zulu" zen zigzague 2 Paris des z'aurores sous le zénith du Spot 13. "On va s'aimer" dans le dernier quart d'heure américain. SHORE inscrit les noms des protagonistes. Tous les ami-e-s sont là. Ils ont éclos comme une fleur de terrain sur la vague de la jungle urbaine. Il ne reste que dix minutes, les supporters sont plus nombreux, le phono égrène les tubes des années d'avant. MG rajoute les néons de son métro comme les ombres portées du mot GRAFF. C'est fini ! C'est l'heure des photos. "Paris sous les bombes" de NTM résonne, le titre éponyme de la jam. Tous réunis, on est deux-cents anonymes. Les boites à caps circulent pour départager les deux murs; à cour les rouges, à jardin les bleus. Les deux murs s'affichent en majesté sur fond de week-end d'été, où l'on pourra dire : "J'y étais". Comme sous les pyramides, d'ici, 40 siècles de graffiti vous contemplent. Les peintres sont félicités à leur juste mesure et célébrés comme des modernes statures. L'équipe des bleus à remporté le challenge ! Félicitations !

MESNAGER

La poésie des corps blancs à son summum, l’érotisme à son pinacle, le frou-frou artistique à son faîte… tout l’édifice tient sur la poutre-maîtresse de la nostalgie et dans la dédicace au « peintre de la vitesse » : Robert Malaval. Car le jour de son décès naissait notre peintre… !
La présence du bonhomme-blanc sur les murs des maisons murées marque l’absence de ses habitants, une empreinte qui n’a pas manqué de jalonner de manière indélébile, mes premières pérégrinations dans le Paris démembré et la Belleville rachetée par les promoteurs à la fin des années 80. Ses références fugaces, vont aux fantômes des lieux. Passage de la Duée enterrée, rue des Pavillons disparus ; rue du Transvaal amputé ; l’absence tellement présente de ses habitants, s’incarnent dans les traits de cet anonyme. Personne n’est plus là que les silhouettes des habitants passés. Dépassés, rattrapés par la course au profit, comme C’était un petit jardin de Claude Lanzmann chantée par Jacques Dutronc. Tout n’est plus qu’une inscription en creux, par le manque, toute référence est nostalgique puisque le présent s’efface au profit de la présence du passé. Je me souviens d’avoir tenté d’épuiser ces « espèces d’espaces » à l’instar de Georges Pérec, et d’avoir dû comme lui revoir mes ambitions, la ville avançait plus vite que nous. Me restent quelques souvenirs épars et des photos à défaut d’être argentées au moins argentiques, comme réminiscences. L’artiste a guidé mes pas, des ruisseaux de Ménilmontant à la Grande muraille de Chine, il m’a transporté sur le devers et sur l’ubac de ces pentes, il m’a guidé au gré de ses corps blancs comme autant d’étoiles accrochées au firmament des rues.

JON BUZZ

Dans le désert de la soif, en voyant quelques gouttes d’eau perler sous le sac en matière plastique et un petit dépôt se former dans la coupelle posée dessous, le cavalier eut un sourire. Toujours ce vieux truc de vider la bombe à l’envers, son dispositif avait été cap de verser l’humidité nocturne du désert par la buse prévue à cet effet. Fresque rue des Pruniers, Paris 20, novemmbre 2023 ©Sigismond Cassidanius
Il avait encore du chemin jusqu’au lac Texcoco, pensa-t-il en flattant l’encolure de Jolly Bumper. Arrivé à Tenochtitlan, il chercherait Huitzilopochtli, en commençant par le Templo-Mayor et, si les augures du colibri lui étaient favorables, il le trouverait à gauche de celui-ci. Le soldat réincarné, l’allégorie du soleil vainqueur, sol invictus. Fresque rue des Pruniers, Paris 20, novemmbre 2023 ©Sigismond Cassidanius
Mi-traversé par la pensée de la chaleur qui allait l’accabler tout le jour, mi-concentré sur l’ajustement de sa selle sur le dos de Joli Briefer, il mâchonnait cette pulpe rouge de saguaro qui lui avait coûté ses doigts. Les cactus sont particulièrement hauts dans ce pays, dépassant de beaucoup le garrot de Joyeux Brushing. De pied en cap ils atteignent plusieurs fois sa taille de buse. Il est un peu perché. Fresque à l'Îlot 27, Pantin, décembre 2023 ©Sigismond Cassidanius
En regardant le soleil levant se mirer sur l’immensité mordorée, il chargea les zbeuls dans les fontes de Joie et Bonheur, puis JB enfourcha sa fidèle monture et partit pour un nouveau mur.

LOUYZ, le pari étal du trompe-l'œil

Ses pinceaux courent sous la mansarde, virevoltent dans le cadre ; le débordent, remontent le long de la lézarde, de là s’étendent et se déploient sur le mur pour qu’une jungle nouvelle surgisse. L’artiste leur prête libre cours et ils y laissent son empreinte, celle de LOUYZ. Comme un surgissement, apparaît alors le paysage de la ville en toile de fond gris-bleu-horizon, afin de mettre en lumière l’éclat de couleur de la végétation et la scène animalière qui se joue hors le mur, au-travers d’un trompe-l’œil. Parfois, c’est un ara qui prend son envol (le 27 Pantin), ou un tigre alangui (Italie2) ou encore un colibri qui butine une fleur de Lilas (le jardin de l’art urbain aux Lilas). La jungle des villes s’ouvre à des « dé-paysages » et à de nouvelles perspectives sur les ombres de la caverne de notre pseudo-réalité. Nos impressions sont trompeuses, essentiellement axées sur le consumérisme, alors que la quête de la vérité appartient au cœur… Cette technique du trompe-l’œil est la marque de fabrique de l’artiste. Ou plutôt, son originalité vient de l’usage qu’elle en fait, mêlé à la pratique du Street-Art, pour ouvrir un pont, une brèche, une croisée dans la ville. Une fenêtre sur nos aspirations de nature, nous les citadins, à ce point dénaturés. L’artiste se situe au carrefour du muralisme et du Street-Art, ce qui la prédispose à être originale. Cependant, ses sujets et la façon dont ils lissent les pignons borgnes de nos rue aveugles, donnent à voir une autre réalité ; le poète disait : « Il n’y a rien de plus vrai que ce qui est imaginaire dans un autre monde ». LOUYZ l’illustre parfaitement. (*1). LOUYZ est issue de la tradition du muralisme, car à l’origine était la peinture murale de son grand-père, un peintre qui a conquis le public avec notamment deux trompe-l’œil, l’escalier monumental à la station Étienne Marcel et les fenêtres de Beaubourg.
Fabio Rieti était un artiste habité, un passionné de musique et de poésie, une âme vibrante dans le concert de la création. Pour preuve, son hommage à Jean-Sébastien Bach à l’angle de la rue éponyme de Paris 13ème, le mur qui établit le point d’orgue des trois générations, puisqu’il a été peint par le maître en 1980 et restauré par sa fille et sa petite-fille en 2016. Il commence sa carrière par sa collaboration avec l’architecte Émile Aillaud, qui va durer quinze ans, avec lequel il couvre de mosaïque la façade de grands ensembles comme à Grigny, Courbevoie, Chanteloup ou Bobigny. Les grandes tours nuages à Nanterre, c’est lui ! Il se tourne vers la figuration et réalise « Les fenêtres » sa première peinture murale en 1975. Italien né en 1925, sa famille quitte le pays à cause des lois de l’État fasciste pour Paris, puis les Etats-Unis. Là, il s’initie à l’art de la mosaïque, ce qui l’amènera plus tard à la peinture murale. Il pose ses valises à Paris à l’âge de trente-et-un ans. La fresque du métro témoigne de cette période, cet homme qui porte les valises de l’exil, c’est lui qui remonte la pente pour retrouver sa fille qui lui tend les bras. Les musiciens de l’orchestre sont une référence à Bach enregistrée par Glenn Gould et Yehudi Menuhin (*2) et à son père, compositeur.
Il est décédé en octobre 2020. Il est un pionnier dans son art, reconnu comme tel par ses pairs. Il l’a transmis à sa fille Leonor, qui l’a porté et soutenu. Elle a élevé sa propre fille, Louise dans ce savoir, presque cette croyance. LOUYZ a créé la structure « Artomur » pour réunir leurs trois pinceaux et se situe donc de façon atavique à ce croisement.Être au croisement signifie être visible, c’est une façon d’apparaître « On the corner » (*3), comme l’album de Miles Davis dont le son inédit sortait de la trompette ; LOUYZ sort du mur, à l’intersection de la technique du muralisme et de l’invasion programmée du Street-Art, avec cette manière qui n’appartient qu’à elle, de réjouir nos murs de réelles présences (*4), je cite : – « C’est le quotidien qui est abyssal. Celui de notre raison d’être, de la rencontre imprévue, peut-être involontaire, avec l‘homme ou la femme dont l’amour changera notre univers, rencontre- Baudelaire le sait- au coin d’une rue ou à travers le reflet d’une vitrine. C’est le mystère qui est si terriblement concret ». Le surgissement d’une scène mystérieuse est donc terriblement concret pour notre espèce et la rencontre avec un des animaux du bestiaire coloré de LOUYZ peut s’avérer riche de sens, d’autant que c’est devenu chose rare dans le monde contemporain, tout occupé à les chasser !
Ainsi sont apparus au gré des festivals en Sologne, au Mans, à Pantin, à Paris ; une foule d’espèces différentes, comme un martin-pêcheur ou des aras et l’emblématique lézard. Il vient peut-être de la proposition initiale de Fabio Rieti, qui avait projeté de dessiner un lézard sur le cube des Halles, avant qu’une de ses amies, à la faveur de l’obscurité dans l’atelier, n’y voit un homme qui marche sur le mur ? Le lézard deviendra donc « Le piéton des Halles ».
Existe-t-il de pluriel à trompe-l’œil, et bien non, on ne dit pas trompe-z-yeux ! Cette singularité de l’artiste muraliste se retrouve jusque dans la langue, et, elle y ajoute sa personnalité et sa propre sensibilité pour nous faire voyager dans l’espace et le temps, un lieu en dehors du darwinisme et des classifications de Linné, un temps pour se situer dans la jungle des villes, se réorienter. Quelques liens utiles • Le 27 Pantin Le 27 – Ville de Pantin • Centre commercial Italie2 Italie Deux | Visite • Le Piéton des Halles, éditions Herscher, 1992 Fabio Rieti – Peinture, textes et errances Peinture, textes et errances – relié – Crevier – Achat Livre | fnac • Le Grand Livre du Trompe-l’œil, Leonor Rieti, éditions Fleurus, 2007 Le grand livre du trompe-l’ il – cartonné – Leonor Rieti – Achat Livre | fnac • Artiste peintre à Paris, peinture trompe l’oeil | Leonor-Rieti et Louyz (artomur.com) • LOUYZ (@louyz_artomur) -Photos et vidéos Instagram • LOUYZ | Facebook 1. Charles Baudelaire : « La poésie est ce qu’il y a de plus vrai dans un monde imaginaire », Carnets, 1855 2. Gould Meets Menuhin: Bach/ Beethoven/ Schœnberg, Canadian Brodcasting Corporation, 1966 3. On the Corner – Miles Davis, production Teo Macero, Colombia records, 1972 4. « Réelles présences » George STEINER, Gallimard, Paris 1991 Texte : Sigismond Cassidanius – Photos LOUYZ - ARTOMUR

MANYOLY

Manyoly nous interroge par son regard oblique et le coté mutin de son expression. Un regard décalé, qui part en quenouille, d'une femme sur les femmes. Au fil des couleurs, le visage se trame mais la matière des cheveux est laissée par l'artiste à votre imagination. Sans être brutal, il est brut, opiniâtre dans son sourire carmin. Manyoly tapisse la ville de portraits de femmes toutes les mêmes et toutes différentes. Une tentative de féminiser la ville (comme elle serait douce alors) de lui rendre la moitié de ses habitantes. L'artiste file la métaphore dans ses toiles urbaines entre Londres, Paris, etc. et Marseille où est son point d'ancrage.
Les portraits comme des grands fétiches sont constitués de bandelettes qui témoignent de plusieurs vies ; fille, sœur, amante, mère, épouse... Elles forment toutes ensemble la momie de la femme unique. La première, qui rendit possible la connaissance : Ève soulève-toi! Manyoly for ever ! Dites-lui que je suis toujours comme elles ; les femmes, toujours sensible à la façon dont s'installent les préjugés envers les minorités. Le dramaturge Ionesco pensait que la minorité a toujours raison. Afin de nous alerter sur le danger des rhinocéros prompts à effacer leurs traces de leur sabots vengeurs, dans leurs charges aveugles. Les premières à être touchées par une dictature sont toujours les femmes ! Sans invoquer les mânes des neiges d'antan, dites-moi où, n'en qu'el pays est Flora la belle romaine ? Où est Sapho ? Et Arsinoé ? Où est Olympe de Gouge, George Sand ? Et Louise Michel et La Passionaria ? Moi, je sais, dans le regard oblique et l'expression mutine des belles dames de Manyoly.