N'allez pas là où le chemin peut mener, allez là où il n'y a pas de chemin et laissez une trace !


Esquisse par ©Le long pour le mur des Flamants roses sis 1 rue des Bruyères aux Lilas

Entretien avec Evelyne Lebouvier, août 2024 - (2/3)

 - La musique tient une grande place dans ta vie, est-ce qu'elle t'accompagne au cours de tes visites, des morceaux privilégiés ?

Impossible de ne pas évoquer la musique dans le rythme des visites. Souvent, j’écoute WeFunk Radio avant, car ça a le don de me mettre sur pied, de me préparer, je ne sais pas bien l’expliquer, mais ce serait un peu comme un métronome. Il y a aussi les musiques que j’aime bien ou que j’ai réécouté récemment. Elles peuvent me donner la pêche, comme on dit en bon français, « a tingle ». Je crois en ferme adepte de Baudelaire à la théorie des correspondances, « j’aime à la folie les choses où le son se mêle à la lumière » et on peut toujours trouver l’écho d’une symphonie dans un bouquet de couleurs, un mur orchestré avec bonheur, je dirais !

Des morceaux privilégiés, comme Dargelos dans « Les Enfants Terribles » de Jean Cocteau, ne veut vivre que des moments privilégiés ? Oui, « back to the roots » un bon paquet de blues et de spirituals comme « West End Blues » de Louis Armstrong ou « In The Upper Room » par Mahalia Jackson. A cela vient s’ajouter le répertoire Be-Bop, « Cool Blues » de Charlie Parker ou « A Night In Tunisia » de Dizzy Gillespie. Enfin, il faut rajouter la crème soul et funk avec Marvin Gaye « Mercy, Mercy Me » mais aussi Sam Cook, Al Green, James Brown, The Isley Brothers « Between The Sheets », The Jacksons Five « I Want You Back » ou « The Pusherman » de Curtis Mayfield. L’emblème, c’est sûrement « Street Life » des Crusaders ou « Native New-Yorker » du groupe Odyssey. Et la culture des bandes originales de films. Je n’en citerai qu’une « Le Corps De Mon Ennemi » par Francis Lai pour le film éponyme.

- Est-ce que tu te considères comme une personne atypique ?

Ah quelle bonne question, je te remercie de me la poser. Oui, je me considère comme un extra-terrestre ou une espèce en voie de disparition, c’est selon les travaux et les jours.

D’abord, parce que je mets du sens en toutes choses. J’analyse et j’interprète beaucoup, parfois trop vite. Je suis vieille école, c’est-à-dire que je crois plus en la qualité, le soin, l’inventivité d’un artiste que son nombre de followers. La quantité à mon sens n’a jamais fait la qualité, au contraire, souvent elle la dénie. Aussi, je juge pour me situer et pas pour le plaisir de juger. Mais j’essaye d’avoir ma pensée propre et c’est là que je me rends compte que le public dans son ensemble, ne veut pas savoir. Il se contentera des récits de la CIA sur l’assassinat de John F. Kennedy. « Gouverner, c’est raconter » disait en substance Nicolas Machiavel, il faut se défier des discours lissés.

Ensuite, parce que j’ai l’impression que mes contemporains ne se soucient pas de savoir, ils se soucient d’avoir. Dans ce sens, je suis atypique, je me contrefiche de posséder, tant que j’ai gardé l’idée. Même les photos parfois, je me refuse à les faire pour laisser infuser et vérifier si j’aime bien ou pas avant d’avoir l’image dans mes dossiers, dans le domaine de l’émotion c’est la force de l’impression le plus important.
Je dirais que je n’ai pas la même échelle de valeurs que la plupart des gens, je n’ai qu’à regarder la platitude de leur Instagram dans le métro par-dessus leur épaule, pour me le confirmer.

- Quel mot utiliserais-tu pour te "qualifier" ?

Poète, au sens littéral. « Poiêsis » en grec, c’est la force de la création artistique. Au sens commun, c’est la profession de celui qui écrit des vers. Je voudrais bien être à la hauteur des deux.

- Est-ce que tu te considères comme un passeur de connaissances ?

Est-ce une perche, tu me connais bien et c’est pourquoi cet entretien, pour parler de Serge Daney ?
Tu sais que c’est auteur important pour moi. Il s’intitule lui-même un « ciné-fils » parce que son père doublait les films américains en français et aller au cinéma, c’était à défaut de le voir, entendre son père lui parler. C’est Monsieur Serge Daney, dont on courrait les articles le mercredi dans Libération. Auparavant, il avait été pendant 20 ans directeur-en-chef de la rédaction des « Cahiers du Cinéma ».
C’est un esthète, il m’a frappé autant par son article sur le traveling de Kapo que sur sa vision des cartes postales son entretien avec Pierre-André Boutang pour la Sept est un résumé de sa pensée. C’est lui qui m’a soufflé cette idée de « passeur » dans les livres que j’ai lu de lui, je citerai « Le Salaire du Zappeur » et « L’Exercice a été profitable, Monsieur », chez POL et dans la revue Positif, le N°1.

 

- Quel est le 1er artiste que tu as découvert ?

Premiers artistes que j’ai connus à la faveur de deux reproductions dans ma chambre d’enfant « Le Lièvre » d’Albrecht Dürer et « Le Clown » de Bernard Buffet. Ils ont contribué à m’interroger sur l’image.

Comme artiste de rue, MESNAGER. J’avais 20 ans, je fréquentais pour la première fois les « Ateliers de Ménilmontant », je suis passé rue de la Duée, là où l’artiste habitait à l’époque et j’ai été saisi par la poésie de ses bonshommes blancs. Et puis, la rue des Partants et NEMO. Les deux dans la même foulée.

Mais ce n’est pas mon premier mur. Le premier, c’est le mur de Berlin en 1986 et tous ces graffitis « Die Mauer Muss Fallen » (le mur doit tomber) et les « Mickey » en caricature avec la poignée de dollars en main… c’est mon premier mur, j’en garde un souvenir ému, en plus on carburait à la « Berliner Weisse ».

 

- S'il y avait un artiste que tu aimerais nous faire découvrir, là, maintenant, ce serait lequel ?

C’est une question difficile, en ce moment, j’aime bien les pochoirs de KLICK. Mais je voudrais citer Léo DIELEMAN avec qui j’ai eu une belle expérience à Belleville, que je compte reproduire à Montrouge !

Cependant, avec l’association, j’ai réussi à réunir certains artistes qui reviennent à travers mes différents projets, parmi eux honneur aux Dames, ADEY, DEMOISELLE MM, DIANE, EMYART’S, LOUYZ, MS BEJA, NICE ART, STOUL et pour les Darons, DOCTEUR BERGMAN, ERNESTO NOVO, JON BUZZZ, LE LONG, etc.

 

- Quelle a été ta pire visite ?

Je crois que c’était avec deux dames sur le parcours de INVADER dans le centre, qui photographiaient absolument tout sur le parcours, je me demandais si elles établissaient la moindre échelle parmi les œuvres qu’on envisageait ensemble !? C’était long et sans rythme, je ne trouvais pas le moyen de les réunir, telles des brebis égarées je ramais et j’ai dû déployer des trésors de patience notamment quand je me retrouvais planté à parler tout seul. Le pire pour un guide est de ne pas être écouté.

 

- La plus agréable ?

Je n’ai pas la réponse, chaque visite est nouvelle en dépit du parcours qui est le même, puisque ce sont de nouveaux invités et donc une autre équipe. De prononcer à haute voix avant chaque visite la phrase « ça va être une bonne visite » m’aide à envisager ce moment comme un moment à part et toujours différent, sans compter les surprises qui peuvent advenir. Des nouveautés, des peintres en action, une rencontre… c’est chaque fois pareil et différent. De toutes mes visites, environ 384 à ce jour, je garde un bon souvenir.

Seulement, je peux citer ma visite fleuve, puisque tu faisais partie de l’équipée chère Evelyne, sept heures de visite entre Vitry et Porte de Choisy ! 10h00 – 17h00, c’est un record difficile à battre !

 

- Quelle est la question que tu n'aimes pas que l'on te pose ?

La question classique, c’est « Vous faites d’autres visites ? ». Là, je bois du petit-lait car je n’en affiche pas moins de quinze à mon actif et je suis content de les mentionner. Mais celle que je n’aime pas, c’est la question intrusive des finances, parce que les salariés ne comprennent pas qu’on peut être indépendant, c’est trop loin d’eux, aussi ils me demandent sans ambages « Est-ce que vous êtes employé par la mairie ? » « Vous arrivez à en vivre ? » Mais, est-ce que je te demande ton salaire, frère !?

 

- Celle que tu aimerais que l’on te pose ?

Encore une question difficile et donc bien sentie. Elle me laisse rêveur… « Pourquoi avez-vous choisi le Street-Art comme sujet de conférence ? ». On pourrait dire d’éloquence aussi. Pourquoi, parce que comme dit Banksy : " Personne ne rechigne devant le prix du ticket d’entrée » pour le Street-Art et de ce point de vue, c’est un art démocratique. Ouvert à tout public.

 

- L'Art urbain est en plein essor depuis quelques années, est-ce que tu y vois une mode ou bien un courant qui va se développer encore, et faire partie de notre quotidien urbain ?

C’est une révolution majeure dans l’histoire de l’art et le Street-Art est l’art du XXIème siècle, s’est établi comme tel depuis maintenant vingt ans. Il a les racines nécessairement puissantes donc suffisantes et l’inscription dans la tradition pour rebondir et se réinventer, je suis confiant dans la créativité des artistes. Je le vérifie tous les jours à travers mon fil d’actualité.

La question d’ordre moral est de se demander si la récupération de cette expression libre à des fins commerciales, je parle des enseignes pas des galeries, est bénéfique au mouvement ? Peut-être, comme la BD peut amener à lire des romans, y compris ceux de Dostoïevski ou de Joyce et Faulkner. Boris Vian.

- Y’a-t-il une question que je ne t’ai pas posée à laquelle tu aimerais répondre ?

Oui, elle aurait trait avec le Hip-Hop, dont on a fêté l’an passé le 50ème anniversaire, d’après la date de la soirée animée par Kool-Herc aux platines pour la rentrée de sa petite sœur, qui est considérée comme la première « Block-Party ». Bien sûr, elle avait lieu dans le Bronx, car tout le mouvement est parti de ce quartier sous-valorisé, on dirait relégué ou sensible, pourtant les habitants ont créé l’art du XXIème siècle. Et comme on parle de musique là, tu remarqueras que c’est le même creuset, la même marmite que là où a « bouilli » le Blues à la Nouvelle-Orléans à Storyville, qui était un quartier aussi mal réputé. Pareil, comme le précise Ahmad Jamal, ils ont inventé « la musique classique du XXème ».

HAÏKUS DU VERGER

PAYSAGE D’UN CERVEAU - AOÛT.24 - LE MESIL-SAINT-GEORGES / LES LILAS


Avant-propos

J’ai essayé de lire dans les reflets du temps les signes de l’impermanence. Par ce présupposé je veux dire que toute chose vécue n’est que le ressouvenir d’un « éternel retour ». « Où était votre moi avant votre naissance ? ». Ce qui est assez représentatif de l’esprit du Zen, du Zazen, comme disent les érudits japonisant, le Ch’an comme précisent les sinophiles pour définir cette branche du Bouddhisme qui se prêtait si bien à mon voyage dans la campagne intérieure. Tout m’était signe de la vitalité du monde, que le sage guette la tête dans le ciel, au risque de choir dans le plus vil des trous herbeux, tel Pythagore.



1.      Dans les reflets polyphoniques d’un
tracteur qui passe
j’entends les psalmodies venues de l’espace

 

2.      Dans la cabine téléphonique
le long de la vieille avenue
Je compose le numéro
d’un passé non avenu

 

Haïkus du verger

3.      Dans le verger le soleil s’installe
Les poires tournent leurs joues
Pour que leurs couleurs soient étales

 

4.      Sur l’arbre du jeune mûrier
Un crissement se fait entendre
Dans le silence le pas d’un ver sur le tendre

 

5.      Au creux du vieux prunier
Semblent nicher tous les oiseaux
Ils piaillent haut et c’est la rue

 

6.      Le ciel suspend son vol en plein été
Les étourneaux lui volent le mouvement
Au crépuscule ils sont une nuée

 

7.      La pomme vidée est tombée dans l’herbe verte
Dans ce mouvement altier et ultime
Elle s’est talée ouverte

 

8.      Sur l’azur moutonnant de nuages
Le papillon blanc danse son vol
Il apparaît chaque fois qu’il passe à contre-champ

 

Principes Zen I

« Quel est le son d’une seule main qui claque ? » Koan Zen
« Où était votre moi avant votre naissance ? » Koan Zen
« Quelle est la nature du Bouddha ? » Koan Zen


9.      Le papillon vient se poser sur mon poignet
Ses couleurs vibrionnent
Il rouvre ses ailes un an a passé

10.  L’araignée fraye son chemin
Sur le fil d’une ombelle
Toile verticale ou parchemin

11.  Sur la fleur de trèfle irisée
Le grillon vient frotter ses élytres
Il en tire un blues inspiré

12.  Dans l’herbe grasse d’un été pluvieux
Elle avance son ruban mordoré
La limace au trait lumineux

13.  C’est la nuit des étoiles filantes ce soir
Dans le ciel couvert et tout noir
Je ne vois que la fumée d’un encensoir

 

Principes Zen II

« Il faut un doigt pour désigner la lune, mais celui qui prend le doigt pour la lune ira droit comme une flèche en enfer » sentence rapportée par Nicolas Bouvier*
« La nature du Bouddha c’est une livre de lin blanc et une nouille pourrie » id.


14.  Résonnent les airs du piano au loin
Dans le jardin et ses plis ombrés
Je lance les dés de l’été sur la portée

15.  Dans l’air immobile comme de l’huile
La chaleur tuile les rayons à la loupe
Par d’incessantes vaguelettes qui chaloupent

 

16.  Quand sonnent les heures au clocher du village
Les tournesols parcourent leur même trajet
Eternel ainsi que le jour n’a pas d’âge

 

17.  « J’ai descendu dans mon jardin »
J’y ai cueilli du serpolet
Pour le geste du poignet et le lapin

 

Principes Zen III

Le battement d’ailes du papillon, qui dure un an, comment le tourner en Koan ?
« Est-ce que tu as vécu l’année du battement d’aile de ce papillon ? »


18.  Le hérisson avance à pas fripons
Dans la nuit son allée est tracée
Mais ne pose pas ton pied _ frisson !

 

19.  Au creux de la paresse du transat
J’interprète le son d’une Passat
Comme la trompette d’une intrigue d’Exbrayat

20.  Sur les partitions du soleil
L’oiseau treille son chant
Le jour au milieu des champs

21.  Le corbeau tend son pas sur le fil
Electrique se balançant au rythme
De sa chanson psychédélique

22.  Le corbeau dans le sillon vide des blés
A cru qu’il suffisait de croasser
Pour que la terre dise je te crois

 

23.  Dans la brume cet émoi au fond du verger
Je croyais distinguer à l’allure des peupliers
La foule des amis inconnus de moi

 

Principes Zen IV

Sentir le vide n’est-ce pas sauter dedans sans tomber ?
« C’est l’éternelle vitalité qui importe, non pas la vie éternelle » Friedrich Nietzsche**


24.  Sur les briques du mur de la resserre
Le lierre improvise un blues
Dans le vibrato de Charlie Parker

25.  La fourmi traine d’ouvrière sa blouse
Sur la prairie affairée de l’été
Dans un savant accord de blues

 

26.  Paysage d’un cerveau j’écoute la radio
Au rythme des sons je décolle
Le nombre de temps sur le banjo

27.  Dans l’âtre du buisson ardent
Des oiseaux brûlant de piaillements
J’entends ta voix ma maman

28.  Le souffle du vent sur les feuilles de lierre
Est aussi celui sur son anche d’alto
De Bird planant dans son glissando – avec Guy Dumont

29.  Sur l’orbe du rosier la treille
Vient se poser la tourterelle
Elle chante à nul autre pareil

 

30.  Le vieux pêcher est tout fripé
Les ramures dévotes de sa jeunesse me tendent
Des bras pleins de promesses passées

 

31.  Dans la fumée blanche du feu de camp
Je comptabilise dans les couleurs et dans les traits
Le portrait de mes emphytéotiques descendants

32.  Dans le reflet clairet de la rosée
Se nichent le miroir aux alouettes
Il faut que je peigne leur aigrette

33.  Dans le sous-bois transparait le soleil qui poudroie
Et le sol à la cote quatre-vingt
Qui se dérobe sous mes escarpins

 

34.  Sur la souche d’un arbre tombé en 1999
Je creuse mes racines à l’essartage
Pour compter les cercles neufs et lire mon âge

 

35.  En souplesse tout à la liesse de marcher
Dans les chemins minés
Se projeter du torse à l’entorse

36.  La pie vole de branche en branche
Sur le ciel d’ouate du mois d’août
A la dérobée du raout

 

Principe Zen V

« Le hasard fait loi » dixit ma mère est-ce assez dépouillé de sens historique pour être Zen ?


37.  A l’orée du champ de betteraves
Il me regarde l’air grave
Roux le renardeau quitte le paysage


38.  Dans la clairière j’entends résonner
Clair le cri d’un rapace sur l’arc des cimes
Il me tend la toise de l’espace dans son bec

 

39.  Les chenilles processionnaires brûlant la flamme
Dans la triade des visées visionnaires
Leur parade vaut bien toutes les olympiades

 

40.  Sur la chaise-longue des journées convalescentes
Dans la lumière congruente de mes lectures
Je devine le dessin de mes fêlures

 

Principe Zen VI

« Est-ce qu’il est impossible de faire une photo ? » Nicolas Bouvier*


41.  Sur la mer de maïs flotte le drapeau noir
Du pirate de ces latitudes
La corneille picore à son habitude

42.  Il faut quitter ce champ de maïs où tu t’affiches
Reprendre un sentier un endroit de parisien
Mais non tu ne trouves qu’un hallier où tu n’es rien

43.  Les coquelicots de « L’Anamour » pavent mon champ mental
D’une substance de pavot paranormale
Me donnant à voir le paysage d’un cerveau

44.  Les meules de paille aujourd’hui sont enrobées
D’une belle matière plastique d’un bleu électrique
On dirait disséminés sur les chaumes de géants acidulés 

45.  Si j’entre dans le hameau au pied des éoliennes
Replié sur sa mare et son nom de Welles-Pérennes
Est-ce que le vent sera une histoire qui dure

 

46.  Welles ce ne sont pas les trompettes de Jéricho
Qui feront tomber les murs de Pérennes
A moins qu’au cinéma j’en ai pas eu l’écho

 

Principe Zen VII

« Il n’y a pour toi qu’un seul commandement : sois pur (clair) » Friedrich Nietzsche**

 

47.  Le long de la pente serpente l’allée boisée
J’y croise les souvenirs au passé présentés
Tout en bas de la descente de Pérennes

 

48.  Dans le vallon s’étalent les campagnes et se toisent
Les bois mais toi qui pavoises tel un héraut
Où t’amènent tes pas de samouraï qui se croise

 

Principe Zen VIII

A la mort du maître, remettre les clés du monastère au jardinier, plutôt qu’au bonze, il sera plus dans le courant de la vie, cité par Nicolas Bouvier*


49.  « La main coupée » le pied foulé j’avance au cœur
De l’été dans un fatras de ronces je pense à Cendrars
La bataille de la Somme et ses traumas

50.  Eté 42 dans le staccato des violons longs
De la saison se joue le drame à peine voilé
D’un après-guerre sur un fil de fer barbelé 

 

 

Epilogue

J’ai mis mon séjour dans mon carnet. Mes impressions sont mêlées à celles de mes lectures, Nicolas Bouvier* pour les Chroniques du Japon, Payot et Rivages, 2001, Friedrich Nietzsche** pour les Considérations Intemporelles, Aubier, 1978 et Dizzy Gillespie pour les entretiens et la bande-son (Dizzy Atmosphere, Actes-Sud, 1991). Pour le cheminement introspectif, j’ai posé mes questions sous forme de rubriques :  Principes Zen. J’ai souhaité conclure sur la mémoire des anciens, les soldats pleins de foi à l’instar de Blaise Cendrars qui s’engage dans la Légion Etrangère en 1914 comme beaucoup d’artistes apatrides à cette époque pour défendre une certaine idée de la France, Guillaume Apollinaire y a perdu la vie, ce sont encore des modèles.
In memoriam !

Entretien avec Evelyne Lebouvier, août 2024 - (1/3)

- Zig, Siegfried, Sigismond, 3 prénoms pour une seule personne, c'est assez singulier, comment doit-on t'appeler ?

Depuis mon objection de conscience, en tant que « bulliste » soit le réceptionniste dans sa bulle de verre, à Théâtre-Ouvert, c’était en 1993, où l’équipe m’appelait Sieg-Sieg ou Zig, c’est devenu mon blaze. C’est l’abréviation de mon prénom et c’est plus facile à prononcer ! Quand Facebook en 2017 a supprimé mes trois comptes ; à mon nom à celui de Henri Salvador et de Pierre Barouh, que j’avais usurpés, j’ai choisi Sigismond comme pseudonyme.

Il est assez proche de Siegfried, de par les origines burgondes et le nom sonnait bien à travers l’inflation de noms anglais et de jeu de mots. J’allais pouvoir ramener un nom mérovingien pour la gloire des anciens, dont Sigismond de Luxembourg qui semble-t-il compte parmi mes ancêtres. Le nom de CASSIDANIUS est celui de ma mère, il signifie, « le domaine des chênes ». Assez facilement, je dirais que je cultive mes racines avec ce patronyme qui sonne diablement ancien. J'ai toujours su qu’il deviendrait mon pseudonyme depuis que j’ai commencé à écrire avant je signais et je taggais HVS pour « Herr von Sie », LOL !
C’était l’époque de « Happys Days », dans les années 80, avec « Fonzie » le loubard au grand cœur.



- Siegfried, un prénom qui a des consonances germaniques si je ne me trompe, que signifie-t-il ?


Ça a été un prénom difficile à porter en Seine-Saint-Denis où je suis né, pour lequel mes parents ont dû demander une dérogation pour ce prénom allemand, les copains à l’école primaire m’appelaient « Steak-frites » ! En opposition à la vulgarité de ce plat, je me suis construit une personnalité élitaire en banlieue, le lieu au ban, la marque de la frontière. Siegfried veut dire la « Victoire par la Paix », c’est le deuxième opéra de la Tétralogie de Richard Wagner, je n’aime pas ses idées politiques, mais comme Baudelaire, j’admire son génie romantique.

Siegfried est un héros emblématique des légendes desquelles je suis pétri, tant par la musique qu’on écoutait beaucoup à la maison, sur « Deutsche Grammophon » par Otto Klemperer ou Herbert von Karayan ; que par mes origines lorraines et franc-comtoises, où il y a beaucoup d’influences suisse et allemande dans la « Culture » et dans la culture populaire.


- Tu es Guide urbain et tu as une formation d'historien, tu as été Directeur de centre aéré, tu écris, tu fais des conférences...A l'image de tes 3 prénoms, cela fait plusieurs casquettes à porter. Est-ce que, par exemple, ta formation d'historien t'aide dans la conception de tes visites ?

Sûrement, en bon nostalgique je privilégie ce qui est ancien ou qui renvoi à l’histoire. Il y a des artistes qui portent des discours historiques, je pense à C215, le peintre des batailles dans la tradition dont il se recommande et à Icy & Sot, dont l’argument historique de la guerre Iran-Irak, me touche naturellement. Mais si j’aime l’histoire, je pense que la vie doit l’emporter et je ne suis pas conservateur.

Aussi, je m’inspire de mon autre casquette, d’animateur-jeunesse pour illustrer mes commentaires des œuvres, en donnant la parole à mes invités, je pense qu’une bonne visite avant le contenu de savoirs échangés est un moment de vie partagé. Car c’est une équipe un groupe et avant tout, un moment où chacun se sent libre de prendre la parole. C’est ma fonction de pédagogue qui revient. Et ma formation d’animateur, car j’ai eu une formation pour la scène jeune-public au Théâtre des Roches à Montreuil pendant plusieurs stages, ensuite pour les séjours ou les ateliers j’étais le référent de l’équipe dans ce domaine. On a d’ailleurs fait quantité de spectacles, j’aimais bien les contes africains.
Il y a des enfants que j’ai vu prendre comme leur autonomie de penser, qui se sont révélés…



- Et ton expérience dans la Petite enfance ?


Elle m’a beaucoup apporté du point de l’accès à la culture. Ayant travaillé en école maternelle et en primaire, dans des quartiers dits « sensibles » j’ai eu à cœur de faciliter aux enfants une ouverture sur le monde. J’avais ainsi fait l’objet d’un entretien pour un mémoire de Master II, par Mery BOUFFIL, elle est aujourd’hui responsable du pôle « Publics » aux archives de la mairie de Nice, à propos de l’ouverture aux pratiques culturelles, car le centre de loisirs fréquentait beaucoup « la galerie des bibliothèques », qui m’avait repéré.

Ça me rappelle une année, avec les grandes sections, nous sommes allés dans plusieurs lieu de culte, un temple hindouiste, une mosquée et une église. J’avais eu des remontées négatives après l’église d’ailleurs, pourtant ce n’était pas dans un objectif cultuel mais bien culturel. Partager, c’est s’enrichir selon moi, et la vraie richesse de notre époque, c’est l’information comme me l’a appris mon vieux maître Toni NEGRI.

OBEY l’a écrit place Igor Stravinsky à Paris : « Connaissance + Action = Pouvoir »



- Cela fait xxxx ans que tu arpentes les rues de Paris, peux-tu dire que tu connais Paris comme ta poche ? As-tu des quartiers, des arrondissements que tu préfères ?


Je me souviens d’une étude par l’université de Bordeaux, qui montrait que les étudiants connaissaient certains quartiers de la ville, fonction de la ligne de métro à côté de chez eux, qu’ils empruntaient le plus. Je suis un enfant de la ligne 11, l’ancienne ligne 3 qui finissait à Porte des Lilas. C’est pour ça qu’Eddy Mitchell chantait «station Opéra, direction Lilas». La ligne 3 a été déviée en 1971 vers Porte de Bagnolet et on a créé la 3bis jusqu’à Gambetta qui est la plus petite ligne du réseau de Paris… donc la ligne 11 dessert Châtelet comme terminus et c’est mon point de chute naturel.

J’y ai toute mes mythologies personnelles et celles de mes parents qui se sont connus boulevard de Sébastopol à l’Agence BN de la Société Générale, celle des mandataires aux Halles qui y avaient leur compte et c’était haut en couleurs d’après leurs récits. La cheffe de service de ma mère était « Rose », c’était la mère de l’acteur Jean-Pierre KALFON, que j’ai toujours adoré, il a joué dans quelques Truffaut.

C’est drôle come les mythologies de la génération d’avant, fonde la vôtre dans un autre mouvement… Aussi, ma mère nous a amenés très jeunes, rien que pour voir les vitrines de Noël à la Samaritaine ou au BHV. On allait place du Châtelet, on franchissait « Sébasto », on passait à la fontaine des Innocents, jusqu'aux Halles de Ricardo BOFIL à l’époque avec les mosaïques de Fabio RIETI dans les espaces intérieurs et devant chaque escalator.

C’étaient des animaux lointains et justement j’ai beaucoup aimé ce décalage des œuvres de celui que je rencontrai pour une exposition en 2018, mais sans savoir qu’il en était l’auteur, c’est sa petite fille, LOUYZ, qui me l’a appris récemment. Comme quoi, tout est relié et la vie est un éternel retour. J’ai connu le centre de Paris, donc, mieux que les alentours de chez moi, assez tôt.



- As-tu le même intérêt, le même attrait pour la banlieue parisienne ?


Bien sûr que j’aime mieux Paris, c’est une ville qui nous est envié de par le monde entier. Je la connais bien, et pour revenir à ta question précédente, je connais très bien les quatre premiers arrondissements, en tant qu’étudiant, j’étais à Jussieu et j’ai beaucoup arpenté le Quartier Latin à ce moment. En tant que guide ou simple promeneur, j’ai découvert des endroits, que j’adore comme les rares cours qui demeurent dans le XIVème arrondissement, la Petite Ceinture et sa portion ouverte dans le XIIIème, « La Petite-Alsace » dans le même arrondissement.

Mais il y a un quartier qui m’impressionne, c’est le XVIème, je suis toujours choqué par la largeur des avenues du Mahatma Gandhi et de Mozart par exemple. Mais dans le XVIème, j’adore la rue, presque le sentier, qui longe la maison de Balzac… Il y a longtemps, quand vous marchiez dans les rues pavillonnaires de la banlieue, vous ne manquiez jamais d’avoir peur d’un molosse écumant qui saute sur le grillage à votre passage. C’est le pire de la banlieue.

Mais je dois dire que j’apprécie de me promener dans ces rues au printemps quand les arbustes jouent leur symphonie de fleurs, leur concerto de couleurs et d’odeurs. C’est ce que j’ai vécu à Montreuil la dernière semaine du confinement en 2020, la banlieue c’est pour moi un air de liberté par rapport aux côtés à l’équerre et à la pollution de la capitale.



- Comment prépares-tu tes visites ?


Goethe a écrit « Les Affinités électives » c’est un beau livre et je garde le titre pour qualifier mes interventions. Je fais mieux partager ce que j’aime, donc je procède d’abord depuis mon intérêt personnel. C’est un registre qui peut recouper nombre de centres d’intérêts que j’ai et aussi, puisque choisir c’est renoncer, à en éviter scrupuleusement d’autres.

Je n’aime pas bien les visites « mainstream » comme la Butte-aux-Cailles ou le boulevard Vincent Auriol. J’aime découvrir de nouvelles œuvres, il y en a aussi dans le XIIIème, mais c’est bien de sortir du cadre, comme les artistes. Depuis plusieurs années je travaille sur la notion de Grand-Paris, en commençant à Paris pour finir en banlieue. Je trouve intéressant de montrer les transitions qui ont été mises en place. Tant par de nouveaux ouvrages pour désenclaver un quartier par une passerelle sur l’A4, que par les artistes locaux appelés à manifester leur talent par des prestataires privés ou par les pouvoirs publics.



- Te souviens-tu de ta première visite ?


Oui, évidemment ! Ma marraine dans les visites est Bénédicte PILET, de l’agence Fresh Street Art Paris. C’était fin octobre 2018, pendant les vacances de la Toussaint, un tour de Belleville en anglais pour des étudiants des Pays-Bas je crois. On s’était réparti le terrain, elle le bas-Bellevile et moi le haut, retour à Ménilmontant en deux heures.

J’avais demandé 40€, à l’époque je travaillais pour Demian SMITH, un « english » assez lunaire. J’avais eu le plan par Heaven au Collectif 3 Couronnes où je squattais tous les jours depuis le 15 août 2018 et la fresque de MOANO. La Friche 3 Couronnes m’a permis de rencontrer beaucoup d’artistes, dont certains que je compte encore au nombre de mes amis ou de connaissances.



- Aurais-tu une anecdote à nous raconter ?


Oui, je me souviens d’une visite pour un groupe de 80 jeunes filles d’un pays de l’est de l’Europe, sur les trois guides prévus, j’étais le seul à être présent. Il a donc fallu que je fasse la visite pour 80 personnes à moi tout seul. C’était encore avec Demian, en 2019. J’ai commencé par parler à tout le groupe, mais très vite je n’ai plus parlé qu’à celles d’entre elles en tête à mes côtés et pour les autres, j’ai juste assuré le tour. Je me souviens du problème pour faire traverser à 80 personnes la rue de Ménilmontant !



- Tu appelles respectueusement "tes Invités", les personnes qui participent à tes visites, pourquoi cette dénomination ?


C’est encore l’école Kasia, elle m’a toujours parlé de nos « guests » ce qui se traduit par invités, ce ne sont pas des « customers » ; j’ai trouvé la distinction jolie et je l’ai gardé comme expression. Car mes invités apprennent de mon tour comme ils m’apprennent à mon tour. C’est une relation cordiale, de gré à gré et je ne dois pas oublier la dimension humaine et me commettre dans le seul aspect économique.