- La musique tient une grande place dans ta vie, est-ce qu'elle t'accompagne au cours de tes visites, des morceaux privilégiés ?
Impossible de ne pas évoquer
la musique dans le rythme des visites. Souvent, j’écoute WeFunk Radio avant,
car ça a le don de me mettre sur pied, de me préparer, je ne sais pas bien
l’expliquer, mais ce serait un peu comme un métronome. Il y a aussi les
musiques que j’aime bien ou que j’ai réécouté récemment. Elles peuvent me
donner la pêche, comme on dit en bon français, « a tingle ». Je crois
en ferme adepte de Baudelaire à la théorie des correspondances, « j’aime à
la folie les choses où le son se mêle à la lumière » et on peut toujours
trouver l’écho d’une symphonie dans un bouquet de couleurs, un mur orchestré
avec bonheur, je dirais !
Des morceaux privilégiés,
comme Dargelos dans « Les Enfants Terribles » de Jean Cocteau, ne
veut vivre que des moments privilégiés ? Oui, « back to the roots »
un bon paquet de blues et de spirituals comme « West End Blues » de
Louis Armstrong ou « In The Upper Room » par Mahalia Jackson. A cela
vient s’ajouter le répertoire Be-Bop, « Cool Blues » de Charlie
Parker ou « A Night In Tunisia » de Dizzy Gillespie. Enfin, il faut rajouter la crème soul
et funk avec Marvin Gaye « Mercy, Mercy Me » mais aussi Sam Cook, Al
Green, James Brown, The Isley Brothers « Between The Sheets », The
Jacksons Five « I Want You Back » ou « The Pusherman » de Curtis
Mayfield. L’emblème, c’est sûrement « Street Life » des
Crusaders ou « Native New-Yorker » du groupe Odyssey. Et la culture
des bandes originales de films. Je n’en citerai qu’une « Le Corps De Mon
Ennemi » par Francis Lai pour le film éponyme.
- Est-ce que tu te considères comme une personne atypique
?
Ah quelle bonne question, je
te remercie de me la poser. Oui, je me considère comme un extra-terrestre ou
une espèce en voie de disparition, c’est selon les travaux et les jours.
D’abord, parce que je mets du
sens en toutes choses. J’analyse et j’interprète beaucoup, parfois trop vite. Je
suis vieille école, c’est-à-dire que je crois plus en la qualité, le soin,
l’inventivité d’un artiste que son nombre de followers. La quantité à mon sens
n’a jamais fait la qualité, au contraire, souvent elle la dénie. Aussi, je juge
pour me situer et pas pour le plaisir de juger. Mais j’essaye d’avoir ma pensée
propre et c’est là que je me rends compte que le public dans son ensemble, ne
veut pas savoir. Il se contentera des récits de la CIA sur l’assassinat de John
F. Kennedy. « Gouverner, c’est raconter » disait en substance Nicolas
Machiavel, il faut se défier des discours lissés.
Ensuite, parce que j’ai
l’impression que mes contemporains ne se soucient pas de savoir, ils se
soucient d’avoir. Dans ce sens, je suis atypique, je me contrefiche de
posséder, tant que j’ai gardé l’idée. Même les photos parfois, je me refuse à
les faire pour laisser infuser et vérifier si j’aime bien ou pas avant d’avoir
l’image dans mes dossiers, dans le domaine de l’émotion c’est la force de
l’impression le plus important.
Je dirais que je n’ai pas la même échelle de valeurs que la plupart des gens,
je n’ai qu’à regarder la platitude de leur Instagram dans le métro par-dessus
leur épaule, pour me le confirmer.
- Quel mot utiliserais-tu pour te "qualifier" ?
Poète, au sens littéral.
« Poiêsis » en grec, c’est la force de la création artistique. Au
sens commun, c’est la profession de celui qui écrit des vers. Je voudrais bien
être à la hauteur des deux.
- Est-ce que tu te considères comme un passeur de
connaissances ?
Est-ce une perche, tu me connais bien et c’est pourquoi
cet entretien, pour parler de Serge Daney ?
Tu sais que c’est auteur important pour moi. Il s’intitule lui-même un
« ciné-fils » parce que son père doublait les films américains en
français et aller au cinéma, c’était à défaut de le voir, entendre son père lui
parler. C’est Monsieur Serge Daney, dont on courrait les articles le mercredi
dans Libération. Auparavant, il avait été pendant 20 ans directeur-en-chef de
la rédaction des « Cahiers du Cinéma ».
C’est un esthète, il m’a frappé autant par son article sur le traveling de Kapo
que sur sa vision des cartes postales son entretien avec Pierre-André Boutang pour
la Sept est un résumé de sa pensée. C’est lui qui m’a soufflé cette idée de
« passeur » dans les livres que j’ai lu de lui, je citerai « Le
Salaire du Zappeur » et « L’Exercice a été profitable,
Monsieur », chez POL et dans la revue Positif, le N°1.
- Quel est le 1er artiste que tu as découvert ?
Premiers artistes que j’ai
connus à la faveur de deux reproductions dans ma chambre d’enfant « Le
Lièvre » d’Albrecht Dürer et « Le Clown » de Bernard Buffet. Ils
ont contribué à m’interroger sur l’image.
Comme artiste de rue, MESNAGER.
J’avais 20 ans, je fréquentais pour la première fois les « Ateliers de
Ménilmontant », je suis passé rue de la Duée, là où l’artiste habitait à
l’époque et j’ai été saisi par la poésie de ses bonshommes blancs. Et puis, la
rue des Partants et NEMO. Les deux dans la même foulée.
Mais ce n’est pas mon premier
mur. Le premier, c’est le mur de Berlin en 1986 et tous ces graffitis
« Die Mauer Muss Fallen » (le mur doit tomber) et les « Mickey »
en caricature avec la poignée de dollars en main… c’est mon premier mur, j’en
garde un souvenir ému, en plus on carburait à la « Berliner Weisse ».
- S'il y avait un artiste que tu aimerais nous faire
découvrir, là, maintenant, ce serait lequel ?
C’est une question difficile,
en ce moment, j’aime bien les pochoirs de KLICK. Mais je voudrais citer Léo DIELEMAN
avec qui j’ai eu une belle expérience à Belleville, que je compte reproduire à
Montrouge !
Cependant, avec l’association,
j’ai réussi à réunir certains artistes qui reviennent à travers mes différents
projets, parmi eux honneur aux Dames, ADEY, DEMOISELLE MM, DIANE, EMYART’S, LOUYZ,
MS BEJA, NICE ART, STOUL et pour les Darons, DOCTEUR BERGMAN, ERNESTO NOVO, JON
BUZZZ, LE LONG, etc.
- Quelle a été ta pire visite ?
Je crois que c’était avec deux
dames sur le parcours de INVADER dans le centre, qui photographiaient
absolument tout sur le parcours, je me demandais si elles établissaient la
moindre échelle parmi les œuvres qu’on envisageait ensemble !? C’était
long et sans rythme, je ne trouvais pas le moyen de les réunir, telles des
brebis égarées je ramais et j’ai dû déployer des trésors de patience notamment quand
je me retrouvais planté à parler tout seul. Le pire pour un guide est de ne pas
être écouté.
- La plus agréable ?
Je n’ai pas la réponse, chaque
visite est nouvelle en dépit du parcours qui est le même, puisque ce sont de
nouveaux invités et donc une autre équipe. De prononcer à haute voix avant
chaque visite la phrase « ça va être une bonne visite » m’aide à
envisager ce moment comme un moment à part et toujours différent, sans compter
les surprises qui peuvent advenir. Des nouveautés, des peintres en action, une
rencontre… c’est chaque fois pareil et différent. De toutes mes visites,
environ 384 à ce jour, je garde un bon souvenir.
Seulement, je peux citer ma
visite fleuve, puisque tu faisais partie de l’équipée chère Evelyne, sept
heures de visite entre Vitry et Porte de Choisy ! 10h00 – 17h00, c’est un
record difficile à battre !
- Quelle est la question que tu n'aimes pas que l'on te
pose ?
La question classique, c’est
« Vous faites d’autres visites ? ». Là, je bois du petit-lait
car je n’en affiche pas moins de quinze à mon actif et je suis content de les
mentionner. Mais celle que je n’aime pas, c’est la question intrusive des
finances, parce que les salariés ne comprennent pas qu’on peut être
indépendant, c’est trop loin d’eux, aussi ils me demandent sans ambages « Est-ce
que vous êtes employé par la mairie ? » « Vous arrivez à en vivre ? »
Mais, est-ce que je te demande ton salaire, frère !?
- Celle que tu aimerais que l’on te pose ?
Encore une question difficile
et donc bien sentie. Elle me laisse rêveur… « Pourquoi avez-vous choisi le
Street-Art comme sujet de conférence ? ». On pourrait dire
d’éloquence aussi. Pourquoi, parce que comme dit Banksy : " Personne ne rechigne
devant le prix du ticket d’entrée » pour le Street-Art et de ce point de
vue, c’est un art démocratique. Ouvert à tout public.
- L'Art urbain est en plein essor depuis quelques années,
est-ce que tu y vois une mode ou bien un courant qui va se développer encore,
et faire partie de notre quotidien urbain ?
C’est une révolution majeure
dans l’histoire de l’art et le Street-Art est l’art du XXIème siècle, s’est
établi comme tel depuis maintenant vingt ans. Il a les racines nécessairement
puissantes donc suffisantes et l’inscription dans la tradition pour rebondir et
se réinventer, je suis confiant dans la créativité des artistes. Je le vérifie
tous les jours à travers mon fil d’actualité.
La question d’ordre moral est
de se demander si la récupération de cette expression libre à des fins
commerciales, je parle des enseignes pas des galeries, est bénéfique au
mouvement ? Peut-être, comme la BD peut amener à lire des romans, y
compris ceux de Dostoïevski ou de Joyce et Faulkner. Boris Vian.
- Y’a-t-il une question que je ne t’ai pas posée à
laquelle tu aimerais répondre ?
Oui, elle aurait trait avec le
Hip-Hop, dont on a fêté l’an passé le 50ème anniversaire, d’après la
date de la soirée animée par Kool-Herc aux platines pour la rentrée de sa
petite sœur, qui est considérée comme la première « Block-Party ».
Bien sûr, elle avait lieu dans le Bronx, car tout le mouvement est parti de ce
quartier sous-valorisé, on dirait relégué ou sensible, pourtant les habitants
ont créé l’art du XXIème siècle. Et comme on parle de musique là, tu
remarqueras que c’est le même creuset, la même marmite que là où a
« bouilli » le Blues à la Nouvelle-Orléans à Storyville, qui était un
quartier aussi mal réputé. Pareil, comme le précise Ahmad Jamal, ils ont
inventé « la musique classique du XXème ».