N'allez pas là où le chemin peut mener, allez là où il n'y a pas de chemin et laissez une trace !


Esquisse par ©Le long pour le mur des Flamants roses sis 1 rue des Bruyères aux Lilas

ABORDER LES AGES COMME UN VOYAGE ET LES GENS UN CONTINENT

Fabio Rieti était un artiste habité, un passionné de musique et de poésie, une âme vibrante dans le concert de la création. Pour preuve, son hommage à Jean-Sébastien Bach à l’angle de la rue éponyme de Paris 13ème, le mur qui établit le point d’orgue des trois générations puisqu’il a été peint par le maître en 1980, et, restauré par sa fille et sa petite-fille en 2016.

Il commence sa carrière par sa collaboration avec l’architecte Émile Aillaud, qui va durer quinze ans, avec lequel il couvre de mosaïque la façade de grands ensembles comme à Grigny, Courbevoie, Chanteloup ou Bobigny. Les grandes tours nuages à la cité Pablo-Picasso de Nanterre, c’est lui ! Il se tourne vers la figuration et réalise un coup de maître avec « Les fausses fenêtres » de Beaubourg, sa première peinture murale en 1975. Viendra ensuite « Le piéton des Halles », icône du quartier de Paris en construction. Il revient à la mosaïque en illustrant une jungle sauvage dans les circulations du Forum des Halles de Ricardo Bofil, fin des années 70.

Italien né en 1925, sa famille quitte le pays à cause des lois de l’État fasciste pour Paris, puis les Etats-Unis. Là, il s’initie à l’art de la mosaïque, ce qui l’amènera plus tard à la peinture murale. Il fréquente le milieu artistique de Soho et s’initie à la peinture. Il persiste mais il veut revenir en France et pose ses valises à Paris à l’âge de trente-et-un-ans. La fresque du métro « Etienne Marcel » témoigne de cette période, cet homme qui porte les valises de l’exil, c’est lui qui remonte la pente pour retrouver sa fille qui lui tend les bras. L’orchestre est une référence à la partition de J-S. Bach par Glenn Gould et Yehudi Menuhin (1) et à sa famille de musiciens.

Il est décédé le 17 mars 2020. Il est un pionnier dans son art, reconnu comme tel par ses pairs. Il a transmis son art à sa fille Leonor, qui l’a porté et soutenu. Elle a élevé sa propre fille, Louise dans ce savoir, presque cette croyance. « ARTOMUR » est la structure créée pour réunir leurs trois pinceaux et se situe de façon atavique à ce croisement. Être au croisement signifie être visible, c’est une façon d’apparaître « On the corner » (2), comme l’album de Miles Davis dont le son inédit sortait de la rue. Sa petite-fille Louyz sort du mur, à l’intersection de la technique du muralisme et de l’invasion programmée du Street-Art, de cette manière qui n’appartient qu’à elle, de réjouir nos murs de réelles présences (3), dans la filiation du bestiaire des Halles.

« C’est le quotidien qui est abyssal. Celui de notre raison d’être, de la rencontre imprévue, peut-être involontaire, avec l‘homme ou la femme dont l’amour changera notre univers, rencontre – Baudelaire le sait – au coin d’une rue ou à travers le reflet d’une vitrine. C’est le mystère qui est si terriblement concret ».

Inscrire sa vie dans les pas du voyage, dans ceux de l’art peut-être est-ce le meilleur parti que l’artiste ait trouvé pour garder la fraîcheur de l’inédit dans ces improbables rencontres ?
Tourner sa vie en trompe l’œil pour la révéler ? L’artiste est voyant ; le pari étal de Fabio Rieti.

EXPOSITION FABIO RIETI jusqu'au samedi 2 novembre, finissage à 18h00, Galerie Sabine Bayasli, 99 rue du Temple, 75003 Paris, du mardi au samedi de 12h à 19h

1. Gould Meets Menuhin: Bach/ Beethoven/ Schœnberg, Canadian Brodcasting Corporation, 1966
2. On the Corner – Miles Davis, production Teo Macero, Colombia records, 1972
3
. « Réelles présences » George STEINER, Gallimard, Paris 1991

Photos ARTOMUR – texte : Sigismond Cassidanius

Vitry-Sur-Seine : Capitale européenne du Street-art, l’exemple pour un art en pleine reconnaissance ?

Par Zaïm RICHARD Emma AÏT-BRAHAM Anaelle ATTICA / Ecole du Louvre 2024

Introduction 

A travers l’enquête que nous avons menée cette année, restituée dans ce dossier, nous nous sommes intéressés à la question de la catégorisation de ce qui est considéré comme un “art” à part entière et particulièrement sur la question de la patrimonialisation du street Art. . Étant élèves à l’Ecole du Louvre, c’est un domaine du champ artistique que nous n’étudions pas que ce soit dans le tronc commun ou en spécialité Art contemporain. Pour autant, les artistes de street art sont de plus en plus populaires.

 Le Street Art englobe diverses formes d'art réalisées dans les espaces publics, souvent sans autorisation officielle. Le street art est un mouvement artistique contemporain qui a émergé dans les années 1960 et 1970 : les jeunes utilisaient des marqueurs pour écrire leurs 1 noms ou "tags" sur les murs, les trains et les autres surfaces publiques. C'était une manière de revendiquer un espace dans une ville en pleine mutation. Au cours des années 1970, le graffiti devient une partie intégrante de la culture hip-hop, aux côtés de la danse breakdance, du rap et du DJing. 

Le street art commence à gagner en reconnaissance artistique dans les années 1980. Des artistes comme Jean-Michel Basquiat et Keith Haring émergent, utilisant la rue comme leur toile et apportant le street art dans les galeries. Dans les années 1980, le mouvement s'élargit pour inclure des techniques telles que les pochoirs, les collages, les mosaïques et les installations. Des artistes comme Blek le Rat en France (souvent considéré comme le père du pochoir moderne) et Shepard Fairey aux États-Unis (connu pour son affiche "Hope" de Barack Obama) diversifient les méthodes et les messages. 

Avec l'apparition d’internet et des réseaux sociaux, le street art a gagné une audience mondiale. Banksy, un artiste britannique anonyme, devient une figure emblématique du mouvement, connu pour ses œuvres provocatrices et satiriques. De nombreuses villes commencent à légaliser le street art, commandent des fresques murales pour revitaliser les quartiers et promouvoir l'art urbain. Des festivals de street art apparaissent dans le monde entier, célébrant cette forme d'expression artistique. 

Aujourd'hui, le street art est une forme d'art globale, influençant et étant influencée par divers mouvements artistiques et culturels. Il est utilisé pour exprimer des commentaires sociaux, politiques et environnementaux. Le street art a aussi trouvé sa place dans le marché de l'art contemporain, avec des œuvres vendues dans des maisons de vente aux enchères et des galeries prestigieuses. Le street art continue d'évoluer, transcendant les frontières géographiques et artistiques, et reste une voix puissante dans le discours public.

 Nous avons donc choisi de nous concentrer sur la ville de Vitry, car elle concentre depuis le début du XXème siècle de nombreux artistes devenus plus ou moins connus et a été nommée pour cela, Capitale européenne du Street Art. Vitry-sur-Seine, une ville située dans la banlieue sud de Paris, est devenue une véritable capitale européenne du street art. Vitry-sur-Seine a toujours été une ville avec une riche tradition artistique et culturelle. Depuis les années 2000, la ville a accueilli de nombreux artistes de rue, attirés par l'ouverture d'esprit des autorités locales et l'enthousiasme de la communauté. 

La municipalité de Vitry a joué un rôle crucial en soutenant activement le street art au début du siècle. Elle a mis en place des programmes et des politiques pour encourager les artistes de rue à utiliser les murs de la ville comme toile, transformant ainsi l'espace public en une galerie d'art à ciel ouvert. Vitry est devenue une destination prisée pour les street artistes du monde entier. 

Ces collaborations internationales ont enrichi la diversité et la qualité des œuvres présentes. Le street art a métamorphosé l'apparence de Vitry-sur-Seine. Les fresques et les œuvres d'art sont visibles sur les murs des immeubles, les façades des bâtiments publics, et même sur des structures industrielles, créant une ambiance dynamique et colorée.

Des tours guidés sont organisés pour explorer les œuvres disséminées dans la ville, faisant du street art un atout touristique et économique. Le street art à Vitry n'est pas seulement décoratif, il joue aussi un rôle social. Les projets artistiques impliquent souvent la communauté locale, y compris les jeunes, dans des ateliers et des initiatives participatives qui renforcent l’idée d’une forme d’appartenance à la ville. 

Toutefois, si Vitry s’est illustré par le Street Art des années 2000 aux années 2010, aujourd’hui, la dynamique n’est plus la même : la municipalité s’est désinvestie des projets, les artistes trouvent de nouveaux lieux privilégiant par exemple en région parisienne les villes du 93 qui jouxtent le canal de l’Ourcq. 

Le terrain de Vitry a cristallisé selon nous différents enjeux majeurs concernant la complexité de la patrimonialisation du street art lié à sa nature éphémère, son évolution constante et son ancrage dans l'illégalité et la contestation. Le street art est né dans la rue, souvent en marge de la légalité, et a longtemps été perçu comme du vandalisme plutôt que comme une forme d’art légitime. 

Cette origine rebelle, vandale et militante complique sa reconnaissance officielle. De plus, le street art est par essence éphémère et en constante évolution, ce qui pose des défis uniques pour sa conservation (dégradation naturelle, 4 effacement par des autorités…). L’innovation permanente rend difficile le suivi pour les institutions. De même, le fait qu’institutionnaliser le street art signifie l'intégrer dans des cadres officiels tels que les musées ou les collections publiques, ce qui pose plusieurs problèmes : un conflit avec l’essence du Mouvement et un déplacement du contexte puisqu’une œuvre de street art retirée de son contexte urbain perd souvent une partie de son sens et de son impact. 

Enfin, à l’échelle des individus , le street art souffre d’une perception souvent inférieure par rapport aux formes d'art plus établies. Les critères d’évaluation du street art diffèrent de ceux des autres arts visuels, rendant difficile une comparaison équitable. La valeur d’une œuvre de street art est souvent jugée sur des critères subjectifs liés à son contexte d’apparition et à sa résonance sociale. 

La conjugaison de ces diverses interrogations peut donc être résumée à travers cette question : dans quelle mesure le street art est-il vraiment reconnu comme un objet patrimonial en tant que tel ? Pour le comprendre, il nous semblait important de recueillir l’expérience d’un large panel d’acteurs reliés au street art et particulièrement à la ville de Vitry, employés de la municipalités, guides, responsables de l’organisation événementiel, artistes, passionnés ainsi que d’apporter une attention particulière à la ville, sa configuration. 

Cela nous a permis de saisir la complexité du sujet et surtout de nuancer ce que représente aujourd’hui la ville de Vitry par rapport au street art par rapport à la vision et au discours relayés par les médias, nous ayant forgé un a-priori biaisé dans la phase préliminaire de notre enquête. Nous avons fait face de manière frontale sur notre terrain aux problématiques énoncées plus tôt et avons pu les mettre en perspective avec nos enseignements.


Première partie : la réalité du terrain, une difficulté pour accéder à l'information 

Nous avions choisi Vitry pour son titre de « capitale européenne du street art ». Nous pensions de ce fait, trouver à la fois une riche documentation sur la ville et la pratique artistique mais surtout des acteurs mobilisés, connaissant parfaitement leur sujet. La mairie de Vitry a été notre premier lieu d’investigation, car l’accès était facile et la mairie nous semblait à première vue être le lieu où l’ensemble des informations seraient centralisées. Nous nous sommes rendus en RER à Vitry et dès nos premiers pas dans la ville, nous avons été « accueillis » par une première fresque. Par la suite, le chemin vers la mairie était parsemé d’œuvres que ce soit sur des habitations, des immeubles, des vitrines de boutiques, des poteaux, en somme tout ce qui occupait l’espace urbain. 

En arrivant à la mairie, nous avons en premier lieu été surpris par le fait qu’à l’accueil de la mairie, il n’y avait aucune documentation sur le street art, et les agents d’accueil n’en avaient pas plus. Ils nous ont très rapidement dirigé vers le service culturel de la mairie pour que nous puissions avoir davantage d’informations. Malgré notre visite en pleine semaine sur les horaires habituelles de travail d’un employé municipal, le service et l’ensemble des couloirs que nous avons traversé étaient étrangement vides et naturellement, la seule personne habilitée à répondre à nos interrogations n’était pas présente ce jour-là. Toutefois, nous avons pu récolter de premiers contacts mais aussi de premières observations en discutant avec une employée responsable des activités sportives au sein de la Mairie. 

Travaillant depuis un certain temps à la mairie, elle nous a plus ou moins fait comprendre que la mairie n’était plus un acteur majeur dans la mise en valeur du street art à Vitry et que cela ne faisait plus partie de la feuille de route des élus. Elle nous a transmis une carte assez ancienne répertoriant les œuvres importantes de la ville ainsi qu’un livre explicatif qui avait été réalisé dans le cadre d’une exposition à Vitry en 2016. Enfin, elle nous a transmis le contact de Jean-Philippe Trigla, acteur principal pour la reconnaissance de la richesse culturelle que représente le street art à Vitry. Cet échange nous a permis d’émettre une première hypothèse sur le fait que la mairie a bien été investie pour le street art il y a bientôt une dizaine d’années mais qu’aujourd’hui ce temps est révolu.

Cela a par la suite été confirmé par notre visite à la Galerie municipale (qui nous avait été recommandée par la Responsable des activités sportives) où le personnel gérant la galerie n’était pas non plus disposé à répondre à nos premières questions et savait en réalité peu de choses sur le street art. Ils semblaient pour autant, très satisfaits de nous avoir comme visiteurs de leur galerie. L’une d’entre elles, nous a d’ailleurs confié ne pas être originaire de Vitry et ne savoir par conséquent “pas grand-chose” sur la ville et son histoire. Emma a également pu échanger avec le Responsable des activités culturelles de la mairie qui a confirmé que la mairie ne gérait absolument pas le street art mais qu’ils “tolèrent” le street art à Vitry. 

Une fois, encore il a souligné le fait qu’il n’habitait pas à Vitry et n’était donc pas en mesure de répondre à nos questions puisqu’il “ne connaissait rien au street art ou sculptures qu’il y a dans la ville”. Il l’a une nouvelle fois redirigé vers le contact de Jean-Philippe Trigla. Pour autant, nous n’avons malheureusement, jamais pu nous entretenir avec, puisqu’il n’a jamais répondu à nos appels et nos emails. 

Pour autant, malgré le peu d’échanges que nous avons eu avec les employés municipaux, il nous a semblé intéressant de constater que tous ne se sentaient pas légitimes pour répondre à nos questions, comme si finalement pour parler du street art, il fallait d’une certaine manière avoir un intérêt particulier, ou même être spécialiste Ces premiers constats ont tout de suite éveillé certains questionnements de notre côté notamment sur la place du street art à Vitry, sur sa reconnaissance qui semblerait en déclin. Nous avons aussi été assez perturbés par le fait que nous manquions d’un point d’accroche pour réaliser nos premiers entretiens. Il a donc fallu que nous trouvions un autre angle d’attaque pour pouvoir mener à bien notre terrain. 

Pour cela, nous avons cherché sur internet d’autres acteurs, d’autres contacts en regardant les sites qui proposaient des visites guidées. Nous avons donc trouvé l’association “ Les arts fleurissent la ville ” et particulièrement le contact du guide, Sigismond Cassidanius (Sig). Son travail actuel est selon lui, le “ fruit d’une assez longue expérience dans ce qui touche l’art urbain en général ” et qui exerce depuis cinq 6 ans de façon professionnelle.

Nous avons également pu joindre avec une blogueuse qui traite des activités à faire en banlieue parisienne et qui avait notamment écrit un article en 2022 sur une balade à vélo à Vitry qu’elle avait pu réaliser, “à la découverte du street Art”. Il a en revanche été impossible de réaliser un entretien avec elle, étant donné qu’elle a soudainement arrêté de nous répondre. 

Sig a donc été notre porte d’entrée sur notre terrain, il nous a mis en relation avec deux autres personnes : l’artiste Kouka Ndati et la Chargée des activités touristiques Val-de-Marne Tourisme & Loisirs, Inès Chouitem. Nous avons vraiment ressenti une envie de la part de Sig de nous aider mais surtout de transmettre l’ensemble de ses connaissances sur Vitry. 

Son aide a été extrêmement précieuse car elle nous a permis de récolter des informations issues de visions et de fonctions professionnelles en lien avec le street art différentes. Cependant, nous avons pris soin de ne pas percevoir notre terrain uniquement par la vision de Sig et son cercle de connaissances et pour cela, il a été intéressant de lire des articles en complément sur internet ainsi que des livres revenant sur la pratique du street art plus généralement. Nous avons pu réaliser un premier entretien avec Sig au sein de l’Ecole du Louvre. Sans avoir préparé nos questions au préalable, Sig semblait très familier avec l’exercice de l’entretien puisqu'il avait en effet pu déjà participé à ce type d’exercices en anthropologie. 

Ainsi, en près de deux heures d’entretien, il a balayé avec nous l’ensemble des interrogations principales de notre terrain, en exposant son point de vue, son avis sur la place du street art dans l’ensemble de la sphère artistique, sa conservation et sa reconnaissance. Il avait par ailleurs, amené de la documentation avec lui, preuve qu’il avait plus ou moins anticipé nos réflexions, nos questions et donc que nous étions sur des pistes justes. 

Nos entretiens avec Inès Chouitem et Kouka Kanti nous ont permis d’avoir une autre vision qui parfois entrait en conflit avec ce qu’avait pu nous dire Sig. Nous avons également pu creuser certains aspects notamment le rapport personnel aux œuvres et au street art, aspect que nous avions finalement peut-être légèrement négligé dans notre entretien avec Sig. Il en est ressorti un point commun : si ces deux personnes interrogées avaient des approches très différentes aux questions que nous posions, elles s’accordaient pour établir que le lien, le goût pour le street art passait aussi par des origines populaires d’où elles étaient issues. Pour finir, Anaelle a pu participer à une des visites de Sig à Vitry.

Elle a pu constater que même si la visite était conçue aussi bien pour des amateurs que pour des initiés, elle ne concernait ce jour-là que des personnes passionnées par le street art qui avaient déjà réalisé beaucoup de visites, ils ne connaissaient pas Vitry mais connaissaient la plupart des artistes. Un couple a même confié ne “découvrir les villes que par le biais du street art” au cours de leurs voyages. 

Anaelle a aussi pu relever la proximité du guide avec ceux qu’ils nommaient ses “invités” qui entrait également en résonance avec le contexte de la visite qui prenait davantage l’allure d’une balade. Sig n’hésitait d’ailleurs pas, [...] à être assez critique, ce qui a quelque peu étonné Anaelle, habituée au côté impartial des discours des historiens de l’art à l’école du Louvre et des guides conférenciers plus traditionnels. 

Cela a aussi été l’occasion d’effectuer des observations sur un autre type de public, non issu de cette culture hip-hop que ce soit en raison de leur âge ou de leur milieu social. Nos observations tout au long du terrain et les entretiens que nous avons pu mener ont en réalité permis surtout d’approfondir les questionnements que nous nous étions posés au préalable, avant de débuter notre terrain sur la ville de Vitry, en prenant l’angle du street art et de la culture Hip-Hop plus globalement avec les connaissances que nous avions déjà et notre intérêt personnel. Très vite, les problématiques que nous avions réussi à faire émerger ont été confirmées par notre enquête, la difficulté principale résidant finalement dans l’accès à des interlocuteurs ayant la volonté et la capacité d'interagir avec nous.



Deuxième partie : Vitry, vitrine éducative du street art 

En premier lieu, notre enquête a pu révéler que le street art à Vitry-sur-Seine constitue un exemple éloquent d'une pratique artistique codifiée, possédant ses propres règles et un langage distinct. Pour cette raison, Vitry semble être, d’abord, un lieu d’éducation et de sensibilisation au monde du street art. Nous nous sommes alors demandé qui étaient les acteurs de cette diffusion et dans quel cadre ceux-ci peuvent la réaliser. 

D’abord Sig, par le biais de ses visites guidées, joue par exemple un rôle crucial dans cette démarche. Il propose en effet, des visites interactives qui s’appuient sur un contact direct, visuel avec les œuvres et tente de rendre « accessible » ce milieu artistique. Pour lui, les visites permettent de partager un langage qui auparavant était plus proche d’un milieu urbain avec des termes pour la plupart anglophones qu’il se permet d’expliciter et parfois de traduire pour en faciliter la compréhension. 

Sig utilise à ce sujet le mot « jargon » et dit qu’il essaie de présenter ces mots avec un trait d’humour pour “ne pas mettre les gens sur le côté” . Il fait donc preuve d’une véritable forme de pédagogie sur le sujet du street art lors de ses visites, pour mettre en lumière les codes du street art, afin qu’ils soient plus faciles à intégrer pour un public parfois non initié à la pratique. Pédagogie dont il a également fait preuve avec nous en développant ses réponses (témoignant aussi de sa passion) mais aussi en nous présentant une documentation susceptible de nous aider au cours de notre enquête. 

A cette occasion nous avons découvert Le guide du street art à Paris par Thom Thom et Chrixcel . Ouvrage significatif dans le rôle éducatif de la ville de Vitry sur l’art urbain car les différentes éditions présentent dans un chapitre dédié à Vitry des itinéraires actualisés sur les œuvres qui permettent à la fois de les découvrir mais aussi d’en comprendre leur signification. 

Néanmoins, la ville de Vitry ne représente qu’un chapitre, chapitre qui au vu de nos expériences auprès de la mairie clôturé. En somme, l’écriture d’ouvrages comme celui-ci permettent l’initiation et la découverte du street art pour tous les publics. Ils peuvent être utilisés en complément dans le cadre de visites (comme le fait Sig en partageant par le biais d’un mail des éléments bibliographiques et cinématographiques aux personnes ayant suivi sa visite) ou permettre la réalisation de balades indépendantes. 

Notre expérience de la visite guidée à Vitry nous a permis de comprendre que les visites forment un moyen d’apprendre à regarder le street art. Effectivement, lors de notre première venue à Vitry nous avions fait attention à bien observer la présence des oeuvres dans les rues, toutefois, la visite a révélé que nous étions passés à côté de beaucoup d’oeuvres remarquables car le street art ne se regarde pas comme une oeuvre dans un musée, il occupe tout l’espace urbain. Cela nous a également donné l’occasion de découvrir le “jargon” dont parlait Sig lors de son entretien qui s’avère être aussi en réalité son propre jargon. 

Il utilise différentes expressions pour illustrer son propos, par exemple à propos du graffiti « l’aristocratie de l’art urbain » ou pour parler du Wild Style il utilise les termes de “fracture de l’œil”, d’ “alphabet graphique” ou “les lettres dansent”. 

Cependant, cette nécessité d’explicitation et de sensibilisation nous a interrogé sur le public réellement touché par ces visites. Qui éduque-t-on ? Dans quel but ? Questions que nous avons pu traitées par le biais des différents interlocuteurs de notre terrain, dont Ines Chouitem. 

Elle a notamment mentionné que les visites organisées, particulièrement celles par Sig, l’un de leur “partenaire” privilégié, garantissaient des tarifs abordables (en moyenne autour de quinze euros). Inès Chouitem a indiqué que ce choix impacte de manière importante l’âge des personnes et leur catégorie socio-professionnelle, qui participent aux visites. Des activités gratuites ou à petits prix permettent un public plus “mélangé” avec des familles qui peuvent venir au complet et des “mélanges socio-culturels plus intéressants”. 

Malgré cela, elle a tout de même appuyé sur le fait que les visites sont en majorité réalisées par des personnes de plus de 50 ans ou au moins des personnes dans la vie active. Il y a donc une dichotomie entre les objectifs établis par son service, dans l’envie et la nécessité d’attirer des publics multiples et la réalité. De ce fait, elle propose une analyse selon laquelle les plus jeunes auraient un goût plus prononcé pour la découverte indépendante en dehors du cadre institutionnel que peuvent représenter ces visites. 

Cela forme un enjeux majeur pour Inès,qui nous a alors évoqué que d’autres événements autour du street art se développent permettant à la ville de promouvoir la pratique. Par exemple, chaque année, le festival “Phenomen’art” regroupe un maximum d’initiatives street art, proposant alors des balades en suivant les œuvres, des ateliers pratiques, de petites expositions ainsi que des projections documentaires. Ainsi, en plus de mettre en avant le street art au sein de la ville de Vitry, ces festivals servent aussi d’initiation à la pratique. 

En effet, le festival propose parfois même au public de participer à des projets artistiques avec les artistes eux-mêmes qui partagent leurs techniques comme celle du pastel à l’huile. Des activités accessibles à tous puisqu’elles sont gratuites et proposées aux enfants comme aux adultes. L’enjeu important relevé du street art dans la ville de Vitry est donc de catalyser un public plus large, de non connaisseurs tout comme de passionnés par le sujet afin de les sensibiliser et peut-être de casser les préjugés sur l’art urbain. 

Pour autant, seuls les professionnels engagés et ceux travaillant à l’échelle du département semblent avoir conscience de cela, la mairie s’étant totalement démobilisée depuis plusieurs années sur ces questions. Cela limite largement le rayonnement des œuvres présentes dans la ville et le champ d’action éducatif. 

Sig a par ailleurs ouvert une piste de réflexion ; un atout majeur pour parvenir à résoudre cette problématique et créer une adhésion à la pratique repose sur l’accessibilité de ce milieu artistique incarné par ses artistes. Il nous dit alors “je vois pas comment je pourrais parler à Alechinsky mais par contre je peux écrire à un street artiste sur Instagram, publier sa photo. Il va mettre un petit merci et il y a tout de suite un rapport, il n'y a pas cette distance”. 

Ainsi il existe une véritable possibilité de relation de proximité entre le public, les œuvres (que les guides tendent à rendre aisées à comprendre) mais aussi les artistes qui les réalisent et c’est peut-être davantage par le biais de ces voies là que le street art en tant que domaine artistique à part entière est amené à se développer aux yeux du public... Le street art à Vitry, preuve d’une patrimonialisation du domaine ? 

Dans un second temps, il nous est apparu que l'institutionnalisation et la patrimonialisation du street art à Vitry soulèvent des questions complexes sur la reconnaissance et la légitimité de cette pratique. A quelle échelle celles-ci se mettent-elles en place ? L’art urbain est-il réellement en train de s’institutionnaliser ? 

Pour comprendre cela, il nous a semblé important de savoir si le street art comprenait des différenciations dans ses pratiques, si celles-ci étaient explicitées et si tous les acteurs 12 interrogés avaient les mêmes définitions. Nos deux entretiens avec Kouka Ntadi et Sig nous ont alors appris la différence entre tag, graffiti et peinture murale. Le street art tendait donc à être moins considéré comme une pratique générale que comme un ensemble de techniques distinctes. 

Ainsi Kouka Ntadi nous a proposé de définir le terme graffiti comme « une pratique qui découle d’une culture hip-hop codifiée et dans son sens le plus large, ça désigne le fait d’écrire sur les murs » , le tag serait « vraiment la signature, on ne parle pas de 7 dessin » et finalement la peinture murale est décrite comme « carrément une autre pratique artistique, c’est simplement utiliser un mur comme support pour créer un paysage, un personnage, une scène ou quelque chose d’abstrait ». Bien que les pratiques soient intimement liées, elles ont donc des particularités propres que reconnaît également de la même manière Sig. 

De même, nous nous sommes interrogés sur la place que prennent les artistes de street art, sur leur accès à une reconnaissance, question qu’il nous a semblé importante de poser à Kouka lui-même, qui a commencé à exercer illégalement aux débuts de l’émergence de l’art urbain. Il nous est alors apparu que sa position en tant qu’artiste avait considérablement évolué au cours des années. Il exerçait au départ au sein de “crews” qu’il définit comme “des équipes où on est plusieurs graffeurs à signer sous le même nom” . 

Or, vers 2012-2013, il a commencé à vivre de son travail ce qui a figuré dans sa vie d’artiste un vrai changement. Après dix ans à peindre gratuitement dans l’illégalité, il a eu la possibilité de signer de son nom et par conséquent revendiquer un travail. Il parle alors d’une transition qui s’est opérée où il a arrêté le graffiti pour devenir “plasticien”. Ce changement de terminologie est porteur de sens, le simple fait d’être “graffeur” n’a pas suffi à sa reconnaissance, il s’est tourné vers un mot plus générique. 

Nous avons alors pu mettre en lien cette évolution dans la pratique de Kouka Ntadi avec notre entretien avec Sig qui nous dit que la place de l’art urbain dans la ville de Vitry est “formellement due à l’installation de C215 en 2006”, artiste qui milite activement pour la reconnaissance des artistes de street art en dénonçant l’impression d’illégitimité à laquelle ils peuvent parfois être confrontés. Siegfried appuie alors ce propos en disant que “rien qu’en termes de vente”, La jeune fille au ballon de Banksy est estimée à un million d’euros, preuve également que le street art fait son entrée dans le marché de l’art. Aussi, notre entretien avec Inès Chouitem nous a appuyé ces constats. 

Elle utilise le terme “médiation” à plusieurs reprises, terme qu’il nous a semblé intéressant de relever puisqu’il 8 est habituellement utilisé pour parler des médiations culturelles qui s’effectuent dans un cadre institutionnel par des musées notamment. Ainsi, le street art semble commencer à s’intégrer dans un vocabulaire plutôt propre au milieu culturel et patrimonial, ce qui témoigne d’une certaine forme d’institutionnalisation. De surcroît, Ines a pu nous décrire l’organisation du festival « Phenomen’art » qui a pu mettre en lumière ce nouveau lien entre street artistes et institutions. 

Les situations décrites par Kouka d’une part et Inès d’une autre, nous amènent donc à penser qu’un nouveau lien se crée depuis plusieurs années entre commanditaires et artistes d’art urbain formant de nouvelles relations plus proches des méthodologies habituelles, traditionnelles du secteur culturel. 

Cependant, si Vitry a bénéficié d’une grande reconnaissance en devenant capitale européenne du street art, il y a plusieurs années, force est de constater que ce statut inédit était fragile et nécessite la mise en place de politiques dédiées au street art régulières, considérant ainsi le street art comme une part du patrimoine culturel de la ville de Vitry. Le travail de Jean-Marc Lachaud , montre ainsi que le processus d'institutionnalisation du street art se heurte à des tensions intrinsèques entre son caractère subversif et son intégration dans des cadres formels. Selon Lachaud, l'essence même du street art repose sur sa capacité à défier les conventions et à occuper les espaces publics de manière éphémère et illégale. 

En écho avec Lachaud, nous avons saisi qu’en devenant partie intégrante des galeries et des musées, le street art risque de perdre une part de son authenticité et de son pouvoir contestataire. De ce fait, les artistes doivent donc naviguer entre la préservation de leur liberté d'expression et les contraintes imposées par les institutions. Cette dualité soulève des questions sur l'authenticité, la commercialisation et la cooptation de formes d'art nées en dehors des circuits traditionnels de l'art. 

Comme le souligne Lachaud, “l'institutionnalisation de la danse hip-hop pose des questions sur la préservation de son authenticité et de ses racines ”, une observation également pertinente pour le street art, où le défi réside dans le maintien de sa nature insurgée tout en étant reconnu comme une forme d'art légitime. 

La Madone - C215 à Vitry-sur-Seine


Troisième partie : sous-cultures, une artification impossible ? 

Dans "Les professionnels du patrimoine à l’épreuve du tournant patrimonial", Claudie Voisenat et Christian Hottin s'intéressent aux travaux de Daniel Fabre et plus particulièrement à la notion de tournant patrimonial. 

Ce tournant patrimonial désigne une transformation radicale du secteur du patrimoine qui s'est opérée dans la France des années 1970. Cette mutation se caractérise notamment par une inflation patrimoniale. Le concept de patrimoine ne désigne plus seulement des monuments historiques ou des objets d'arts mais s'est considérablement élargi pour englober une multitude de pratiques diverses et variées. 

Qu'elles soient matérielles, immatérielles ou qu'elles puisent leurs origines dans des contre-cultures, toutes les formes d'expressions culturelles peuvent désormais être qualifiées de patrimoniales. Cela s'illustre par exemple avec la "Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel” de l'UNESCO. Créée en 2003, elle a marqué une étape cruciale dans la reconnaissance des formes d'expressions en marge de la culture dominante. Cet intérêt nouveau s'accompagne forcément d'un processus d'institutionnalisation que Nathalie Heinich et Roberta Shapiro qualifient "d'artification" . Dans l'ouvrage "De l'Artification" publié en 2012, elles s'intéressent justement au passage du non-art à l'art : le processus par lequel des pratiques, objets ou formes d'expressions qui n'étaient auparavant pas considérés comme artistiques sont progressivement reconnus et valorisés en tant que tels. Parmi les pratiques marginales qui ont gagné en reconnaissance dans le monde de l'art, on peut évidemment penser au street art et plus particulièrement au graffiti. 

Le street art fait l'objet d'un chapitre entier dans "De l'Artification" écrit par Marisa Liebaut et intitulé "L'artification du graffiti et ses dispositifs". Comme la chercheuse le fait justement remarquer, l'artification de cette pratique artistique est paradoxale puisque "ses auteurs peuvent se retrouver aussi bien en prison qu'au musée et que leurs productions peuvent leur valoir aussi bien des amendes que de lucratifs achats par les amateurs". 

En effet, s'approprier un pan de mur et l'utiliser comme un médium d'expression artistique est une pratique qui est punie par la loi. Si aujourd'hui, la ville de Paris, capitale du tourisme européen, fait volontiers appel à des artistes pour peindre des fresques monumentales, cela n'a pas toujours été le cas. "Dans les années 1990, la profusion des tags déclenche plutôt la colère des habitants et la répression des graffitis, décriés, tous genres confondus, par le discours médiatique et institutionnel, ainsi que dans le langage courant.". 

A titre d'exemple, si le travail de l'artiste Invader, mosaïste de rue célèbre pour ses Space Invaders, est aujourd'hui mondialement reconnu, cela n'a pas toujours été le cas. Il raconte en effet à Marisa Liebaut avoir été arrêté et puni à de nombreuses reprises pour sa pratique du street art. Ce shift total dans la carrière d'Invader prouve donc qu'il y a un street art acceptable et un street art qui ne l'est pas. "Entre nettoyage au kärcher et muséification, entre commissariat de police et commissariat d'exposition”, il n'y a qu'un pas. Nous pouvons également nous demander à quel prix l'artification des pratiques artistiques marginalisées se fait : celui de leur authenticité. 

Comme le fait remarquer Marisa Liebaut, le chemin vers la reconnaissance se fait nécessairement grâce à l'intervention d'intermédiaires spécialisés, galeristes, éditeurs, marchands d'art, et mécènes. Selon le street artiste Kouka Ntadi, "l'essence même du graffiti, c'est d'être totalement libre" . Issu de la culture hip hop qui se veut "transversale et horizontale", prônant "l'égalité et la liberté de tous", cet art est inévitablement perverti par les attentes de ces nouveaux acteurs, notamment celles des commanditaires. "J'ai des commandes et j'essaye de faire en sorte qu'on ne me dise pas ce que j'ai à faire car je déteste ça". 

Kouka Ntadi est également critique du marché de l'art. "A partir du moment où il y a une compétition (...) basée sur la visibilité, les contacts et la capacité à se vendre, pour moi ça biaise totalement le propre même du graffiti". On peut enfin voir un non-sens total dans le fait d'exposer un art urbain dans des lieux clos. Conscient de cette perte de liberté et d'authenticité, Kukan Tadi ne se considère plus vraiment comme un street artiste mais comme un plasticien. Il est possible de comparer l'artification du graffiti à celles d'autres pratiques comme la danse hip-hop qui fait l'objet d'un chapitre écrit par Roberta Shapiro dans "De l'Artification". Importée de New York par les communautés afro et latino-américaines, cette danse qu'on appelle smurf s'est diffusée en France grâce à l'émission H.I.P H.O.P présentée par Patrick Duten (Sidney) sur TF1 (unité de programme Marie-France Brière entre 1983 et 1984, NDLR). 

"A l'époque de la marche des beurs, des premières années du chômage de masse et de la précarité", le smurf connaît "un engouement extraordinaire surtout chez de très jeunes garçons de familles ouvrières, arabes, africaines ou antillaises". C'est grâce à sa liberté de mouvement que le smurf séduit : la danse devient un exultoire, un moyen cathartique de lutter contre la discrimination raciale et sociale. Le smurf n'est pas seulement un marqueur identitaire, un habitus culturel bourdieusien : il se définit aussi et surtout par son caractère contestataire. 

Il s'est en effet construit en opposition à la classe bourgeoise qui l'a en retour totalement rejetée. Méprisé, il est "associé dans l'imaginaire collectif à des "classes dangereuses" et à une jeunesse qui effraie” pour reprendre les mots de Roberta Shapiro. Cela met en évidence la dualité entre les contre-cultures et la culture dominante dont les goûts s'opposent systématiquement. Dans ce cas, Pierre Bourdieu parle de dégoût du goût des autres : "Ce qui est important, c'est que les goûts finalement sont des dégoûts. Ça, j'ai mis beaucoup de temps à le trouver. C'est le dégoût du goût des autres.". Malgré cela, la danse hip-hop n'a pas échappé au phénomène d'artification. 

"Aujourd'hui, près de trente ans après son introduction en France, la danse hip-hop est qualifiée comme une forme artistique et un courant de la danse contemporaine". Cela se voit par exemple avec le cas des jeux olympiques. Le break-dance, sous-branche de la danse hip-hop fait désormais l'objet d'une épreuve à part entière et les mouvements du smurf ont été réemployés par Mourad Merzouki pour créer la chorégraphie des Jeux-Olympiques de Paris 2024. 

Kouka Ntadi nous a confié voir ce changement de paradigme comme un "revirement de situation opportuniste de la part des institutions". Pour lui comme pour Roberta Shapiro, ce que l'on pourrait qualifier d'un passage "de la rue à la scène" est plutôt un arrachement à "la rue", une "extraction", une "décontextualisation physique et sémantique" de la culture hip hop. Se sentant dépossédés, les smurfeurs de la première heure luttent en organisant des battles et des championnats en marge du cadre institutionnel. Ces actes de résistance active prouvent donc que l'artification de la culture hip-hop est difficile et dans la plupart des cas non désirée. L'écart total entre les contre-cultures et le monde institutionnel est peut être plus flagrant encore dans le cas du rap. 

Genre musical le plus écouté en France, le rap a une réputation sulfureuse et a plus d’une fois défrayé la chronique. Dans Une histoire du rap en France , le sociologue Karim Hammou propose au lecteur de retracer l’histoire de ce genre musical controversé. Vecteur important de revendications, le rap est contestataire par essence. 

Dans les années 1990, des artistes comme NTM ont été les porte-paroles d’une jeunesse en colère. Ce duo composé des rappeurs Kool Shen et Joeystarr s’est retrouvé plus d’une fois dans la tourmente, notamment lors d’un concert organisé en 1995 par SOS racisme. Joeystarr y avait ouvertement crié sa haine de la police, ce qui lui a valu une condamnation à trois mois de prison ferme pour “propos outrageants contre les forces de l'ordre”. 

Comme cela à été le cas avec le graffiti ou le smurf, les controverses n’ont pas empêché le rap de gagner en popularité, bien au contraire. Le rap jouit aujourd’hui d’une popularité grandissante que le média rap Booska P attribue à “l’apparition d’artistes avec des propositions musicales singulières, issus de milieux différents que ceux des quartiers populaires notamment” . D'après un sondage réalisé par la SACEM en 2022, les musiques urbaines sont les plus populaires en France, elles représentent 75% des écoutes des jeunes et son succès participe activement au rayonnement de la France à l'international puisque la France est devenue “le deuxième marché mondial du rap”. 

Les maisons de disques ne sont évidemment pas étrangères à ce succès : dès la fin des années 2000, elles se sont empressées de surfer sur le phénomène rap, un véritable eldorado. Dans son ouvrage, Karim Hammou aborde les tensions entre l'authenticité revendiquée par certains artistes et les exigences commerciales du marché de la musique. Pour convenir à un public plus large, le rap jusqu’alors ancré dans les réalités sociales des quartiers populaires, s’est embourgeoisé. 

Pour illustrer ce changement, on peut s’intéresser à ce qu’on appelle le “rap de iencli”.

D’après le journal 20 minutes, le mot “iencli" est le verlan de client, le consommateur de drogue, celui qui achète. On l'oppose ainsi au dealer, et on isole alors deux mondes distincts (...) : celui qui vit dans une cité et qui vend, et celui qui ne fait qu'y passer.” Ce terme péjoratif est aujourd’hui utilisé pour désigner les artistes qui se sont approprié la culture urbaine tout en étant totalement détachés des dures réalités du monde de la rue. 

Il dénonce un écart de traitement entre les rappeurs blancs issus de classes sociales aisées, (Orelsan, Lomepal ou Roméo Elvis) adulés par le grand public mais jugés inauthentiques et les autres qui ne jouissent pas toujours de la même reconnaissance. En conclusion, l’artification des sous-cultures, qu’il s’agisse du graffiti, de la danse hip-hop ou du rap, soulève de nombreuses questions sur l’authenticité, la reconnaissance et l’institutionnalisation de ces pratiques. Bien qu’il permette leur mise en lumière, ce processus entraîne souvent une décontextualisation et une modification des valeurs intrinsèques de ces expressions culturelles. 


Conclusion 

Notre expérience sur le terrain a été riche en enseignements, tant sur le plan méthodologique que sur le plan théorique. Si Anaelle Attica et Zaïm Richard avaient déjà eu l'occasion de mener une enquête de ce type en deuxième année de premier cycle, cet exercice reste encore nouveau pour eux. En ce qui concerne Emma Aït-Braham, c'était la première fois qu'elle menait un travail anthropologique d'une telle ampleur. Cette enquête nous a donc formée aux techniques d'investigations ethnographiques. Mener un entretien, maintenir une certaine distance avec les interrogés, retranscrire leurs propos avec justesse et apprendre à pratiquer l'observation participante sont des exercices très formateurs auxquels nous n'aurions pas pu nous essayer sans cet exercice. Comme c'est souvent le cas, notre enquête de terrain ne s'est pas nécessairement déroulée comme nous l'avions imaginée. Lors de notre première incursion à Vitry sur Seine, la prise de contact avec les employés de mairie, les galeristes et les habitants n'a pas été fructueuse. Ne pas parvenir à interagir avec les interrogés est très déstabilisant. Nous avons donc persévéré et remis en question notre approche du terrain. 

C'est notre rencontre avec Sig qui a marqué un tournant dans notre enquête : il nous a non seulement confortés dans nos ressentis mais il nous a également permis de nouer contact avec d'autres acteurs parmi lesquels Ines Chouitem et Kouka Ntadi. 

Cette enquête de terrain nous a également donné l'occasion de nous intéresser à une pratique que nous connaissions peu : le street-art. Souvent méprisée pour ses origines populaires, elle ne fait par exemple l'objet d'aucun enseignement à l'Ecole du Louvre. 

S'intéresser au street art en immersion totale sur le terrain a donc été très enrichissant. A la frontière entre légalité et illégalité, rues et galeries d'art, éphémérité et sauvegarde, le street art nous a permis de nous questionner sur de grands enjeux de la conservation du patrimoine. Cela sera sans aucun doute très utile à la poursuite de nos études à l'Ecole du Louvre. 

Par ailleurs, nous avons également fait le choix de comparer l'artification du street art à l'institutionnalisation de pratiques artistiques telles que le smurf et le rap, ce qui a 20 considérablement enrichi notre réflexion mais aussi notre connaissance du mouvement hip hop. 

En somme, notre enquête de terrain a été formatrice à bien des égards. Elle nous a non seulement permis d'apprendre à mener des entretiens ethnographiques, mais aussi d'approfondir notre compréhension du street art en resituant son artification dans le contexte plus large du hip-hop. Nous en ressortons non seulement mieux préparés pour nos futures recherches, mais surtout riches d'une appréciation plus nuancée des dynamiques entre culture populaire et institutionnalisation artistique. 

Cette expérience a également renforcé notre capacité à faire preuve de résilience face à l’imprévu et à adapter nos méthodes de travail en fonction des réalités du terrain. Cependant, nous avons “perdu” beaucoup de temps en cherchant à trouver un point d’accroche à Vitry. Ainsi, nous aurions aimé développer davantage des axes de comparaison au sein de la région Ile-de-France comme, par exemple, les zones autour du canal de l’Ourcq de plus en plus populaires pour le street art. 

A l’approche des Jeux Olympiques de Paris 2024, de nombreuses initiatives cherchent à mettre en avant l’espace urbain telles que l’exposition au Petit Palais, Art Urbain. Il aurait été intéressant de voir comment dans le cadre de cette évènement sportif d’exception, la ville et notamment par le biais du street art retrouvent d’une certaine manière leurs lettres de noblesse.

Zaïm RICHARD Emma AÏT-BRAHAM Anaelle ATTICA / Ecole du Louvre 2024


ABORDER LA VIE COMME UN VOYAGE ET LES GENS DES CONTINENTS

 

Le pari étal du trompe l’œil

Fabio Rieti était un artiste habité, un passionné de musique et de poésie, une âme vibrante dans le concert de la création. Pour preuve, son hommage à Jean-Sébastien Bach à l’angle de la rue éponyme de Paris 13ème, le mur qui établit le point d’orgue des trois générations puisqu’il a été peint par le maître en 1980, et, restauré par sa fille et sa petite-fille en 2016.

Il commence sa carrière par sa collaboration avec l’architecte Émile Aillaud, qui va durer quinze ans, avec lequel il couvre de mosaïque la façade de grands ensembles comme à Grigny, Courbevoie, Chanteloup ou Bobigny. Les grandes tours nuages à la cité Pablo-Picasso de Nanterre, c’est lui ! Il se tourne vers la figuration et réalise un coup de maître avec « Les fausses fenêtres » de Beaubourg, sa première peinture murale en 1975. Viendra ensuite « Le piéton des Halles », icône du quartier de Paris en construction. Il revient à la mosaïque en illustrant une jungle sauvage dans les circulations du Forum des Halles de Ricardo Bofil, fin des années 70.

Italien né en 1925, sa famille quitte le pays à cause des lois de l’État fasciste pour Paris, puis les Etats-Unis. Là, il s’initie à l’art de la mosaïque, ce qui l’amènera plus tard à la peinture murale. Il fréquente le milieu artistique de Soho et s’initie à la peinture. Il persiste mais il veut revenir en France et pose ses valises à Paris à l’âge de trente-et-un-ans. La fresque du métro « Etienne Marcel » témoigne de cette période, cet homme qui porte les valises de l’exil, c’est lui qui remonte la pente pour retrouver sa fille qui lui tend les bras. L’orchestre est une référence à la partition de J-S. Bach par Glenn Gould et Yehudi Menuhin (1) et à sa famille de musiciens.

Il est décédé le 17 mars 2020. Il est un pionnier dans son art, reconnu comme tel par ses pairs. Il a transmis son art à sa fille Leonor, qui l’a porté et soutenu. Elle a élevé sa propre fille, Louise dans ce savoir, presque cette croyance. « ARTOMUR » est la structure créée pour réunir leurs trois pinceaux et se situe de façon atavique à ce croisement. Être au croisement signifie être visible, c’est une façon d’apparaître « On the corner » (2), comme l’album de Miles Davis dont le son inédit sortait de la rue. Sa petite-fille Louyz sort du mur, à l’intersection de la technique du muralisme et de l’invasion programmée du Street-Art, de cette manière qui n’appartient qu’à elle, de réjouir nos murs de réelles présences (3), dans la filiation du bestiaire des Halles.

 « C’est le quotidien qui est abyssal. Celui de notre raison d’être, de la rencontre imprévue, peut-être involontaire, avec l‘homme ou la femme dont l’amour changera notre univers, rencontre – Baudelaire le sait – au coin d’une rue ou à travers le reflet d’une vitrine. C’est le mystère qui est si terriblement concret ».

Inscrire sa vie dans les pas du voyage, dans ceux de l’art peut-être est-ce le meilleur parti que l’artiste ait trouvé pour garder la fraîcheur de l’inédit dans ces improbables rencontres ?
Tourner sa vie en trompe l’œil pour la révéler ? L’artiste est voyant ; le pari étal de Fabio Rieti.

 

1. Gould Meets Menuhin: Bach/ Beethoven/ Schœnberg, Canadian Brodcasting Corporation, 1966
2. On the Corner – Miles Davis, production Teo Macero, Colombia records, 1972
3.
« Réelles présences » George STEINER, Gallimard, Paris 1991

Entretien avec Evelyne Lebouvier, septembre 2024 - (3/3)

- Tu as créé ton Association Les Arts Fleurissent la Ville, le 14 novembre 2020, qu'elle est sa vocation ?

L’association Les Arts Fleurissent la Ville doit son nom à sa participation au Budget Participatif de la Ville des Lilas, « Les Arts Fleurissent Les Lilas » en 2020.

Elle a été déclarée en avril 2021 et publiée au JO en novembre 2021, mais de fait, l’association existait depuis juin 2020. Avec les premières interventions de Seb.d ; dont les pochoirs ont contribué à l’animation de deux repas de voisins dans le Jardin de l’Art Urbain, rue du Centre aux Lilas. Surtout la première expérience pour Le Long. On s’était cotisé pour lui payer les bombes. J’avais sollicité la copropriété pour qu’il fasse son premier mur à main levée au jardin.

Et puis dans la foulée sont arrivé ; Akelo, Diane, Jon Buzz, Claks, Depielli, Paulo, Nice-Art, Pêdro, Nô, Emyart’s, Glad Pow, Demoiselle MM, Louyz, Wild Wonder Woman, Lasco, The End, Steso…

La vocation naturelle de l’asso est de couvrir les murs de peinture, à gros traits ou d’œuvrer pour la promotion de l’art urbain, ça veut dire pareil. Les buts de l’association sont avant tout de travailler avec les artistes locaux, de développer la connaissance de cette expression artistique par des visites ou tout autre évènement. Dans les statuts : « Cette association a pour objet :

- d’apporter de la valeur à l’environnement dans la ville, de faire circuler du langage avec des interventions qui témoignent de l’art urbain

- d’associer le public qui vit/demeure à proximité de lui favoriser la passerelle avec l’art urbain à travers des ateliers ou des choix de thématiques des concertations rencontres etc…

 - de proposer un accès aux arts vivant comme l’art urbain via des visites ou d’autres évènements. »

 

- On pourrait dire qu'avec Les Arts Fleurissent la ville, Les Lilas sont toujours en fleurs : combien de Murs as-tu initiés dans la ville des Lilas, au Pré-Saint-Gervais... ?

Evelyne, je te remercie pour cette question, car depuis deux ans, je n’arrête pas le décompte des murs. Hier, pour la rentrée, j’ai posé un collage de LOUYZ sur la boulangerie un autre sur celle Modern’ Fripe et encore un au café Le Lilas. Ce ne sont pas à proprement des murs, ce sont des « interventions », mais ça témoigne de l’activité de l’association sur le terrain.

Mais pour Les Lilas, l’association a initié 11 murs, peints par 17 artistes et au Pré-Saint-Gervais, nous bénéficions aussi de 10 surfaces pour 10 artistes. Certaines sont livrées depuis cet hiver, d’autres sont en cours. Donc, 21 murs officiels, sans compter les « featurings » tels que Léo DIELEMAN, COMER, MS BEJA… et les « jams » de l’association ; ça fait une trentaine environ.

 

- Comment accompagnes-tu les artistes dans ces projets ?

Le maître-mot, c’est d’épargner aux artistes les péripéties des aléas pour pouvoir peindre un mur. Il faut, selon moi, gommer les aspects négatifs et ne transmettre que le positif aux artistes.

Aussi, je leur passe les détails des négociations pour trouver un meilleur emplacement, par exemple, mais je communique sur le beau mur qu’on a trouvé. Je valorise et j’encourage. J’attire toujours l’attention des artistes sur l’environnement de leur œuvre, car j’ai appris à le prendre en compte, notamment pour ne pas me faire toper par les Architectes des Bâtiments de France.

 

- Quelles sont les difficultés que tu peux rencontrer ?

Pour te répondre sincèrement, les pires sont les mésententes avec de vieux amis, des compagnons de route qui par aveuglement financier, souvent, me plaquent sans crier gare ! Les projets que je juge irrecevables aussi et qui font l’objet d’âpres négociations pour que j’obtienne un mur visible de la rue notamment. Je ne connais pas de problèmes de dépassement d’honoraires, les artistes avec qui je travaille n’ont jamais manqué de s’acquitter du pourcentage qui revient à l’association sur leurs travaux. Et c’est pour nous l’occasion de financier d’autres projets.

 

- Spécialiste, amateur ou "qualifié" comme le dit Astrid dans la série que nous apprécions beaucoup tous les deux : " Astrid et Raphaëlle " sur France.tv : comment te qualifierais-tu ?

On aime beaucoup cette série en effet et j’ai même adopté le « Ouiii » sonnant d’Astrid ! Je suis plutôt un amateur, au sens littéral, c’est-à-dire que j’aime ce domaine et que je m’y intéresse. Il s’avère qu’à force de travail, j’ai acquis le statut de spécialiste et au fur et à mesure de mon expérience sur ce terrain, je suis devenu meilleur dans mes conférences. Mais je ne suis pas un expert pour autant, car cela induit à mon sens un savoir fini, un poids mort, sanctifié par un diplôme poussiéreux. J’espère être plus en adéquation avec mon sujet qu’un mémoire sur l’histoire de l’art. L’exemple caricatural en est « Les chevaliers paysans de l’an Mil au lac de Paladru » selon le film « On connaît la chanson » de Alain Resnais. La culture générale n’est pas faite pour être étalée comme de la confiture, mais pour changer notre nature. Accepter de se changer, c’est prouver sa vitalité d’esprit. C’est manifester la vie.

 

- J'ai participé à plusieurs de tes visites et, tu me diras si je me trompe, elles sont me semble-t-il, construites sur la même trame : une introduction, un développement et une conclusion : est-ce que le Guide aurait besoin d'un fil d'Ariane pour être lui-même guidé ?

C’est ma formation d’animateur, et notamment à la technique en or de toute animation, qui est le « PSADRAFRA » à savoir : Présentation, Sensibilisation, Accroche, Développement, Réunion, Animation, Finalisation, Retour, Analyse. Une vieille technique mnémotechnique que j’utilise toujours et qui constitue la trame de mes visites. Comme un conteur, j’ai besoin de savoir les mots que je vais employer, je les connais par cœur pour certaines œuvres, où je sais que je vais faire rire mes invités par exemple. Un conteur ne dévie pas de son récit quand il est établi.
Dérouler le fil, c’est la question ! Pour savoir commencer, il faut savoir où finir. C’est mieux d’être aligné et de présenter une congruence avec le récit. Et pour boucler la boucle, il faut poser la problématique dès l’introduction. C’est de plus le moment privilégié de la rencontre avec les invités. Je leur donne la parole à leur tour. Nous avons déjà parlé du contexte historique et je n’y reviens pas. Le développement, souvent s’amenuise à mesure de la visite.

 

- La conclusion de tes visites n'est pas un simple "au revoir" adressés à tes Invités, il y a ce que tu appelles une "après visite" :

   - quelle est son importance pour toi et tes Invités ?

   - peux-tu nous parler de son contenu ?

Alors, les après-visites sont le fruit de mon expérience avec Demain et Kasia que j’ai déjà cités. Il faut garder le lien qui a été tissé avec tant de soin. Ce serait du gâchis de se limiter à ces deux heures seules. Comme j’ai beaucoup à apporter avec des liens, des compléments d’information, j’estime que c’est le moins d’aider le public à se repérer, « je suis qualifié » comme dit Astrid.

Et puis, c’est un moyen de perpétuer la rencontre, de donner aux invités du grain à moudre, s’interroger et s’informer, car il y a beaucoup de liens dans les messages, sans compter les documents dédiés à chaque visite. C’est aussi une mise en relation dans la fidélité, puisque je communique sur les prochaines visites et que j’envoie le lien pour les éternelles 5 étoiles, tu sais déjà, on en a assez parlé en rigolant ! La note ; c’est important pour un guide !

 

- Tu évites de donner ton avis sur ce que tes Invités découvrent au cours de la visite, est-ce que c'est compliqué pour toi, dans ta profession, de garder cette neutralité ?

Oui, un guide professionnel n’est pas là pour juger mais pour éclairer les œuvres et le travail des artistes, de les servir à travers son discours. Je ne prête le flanc à cette technique facile de réduire les artistes à un jugement définitif. Parfois je m’interroge, c’est difficile de se contenir en tant qu’individu, en tant qu’amateur un peu critique, même pas mal psychorigide sur certains points. Mais je n’éreinte jamais un artiste, nommément, sciemment, itérativement.

 

- On a souvent eu l'occasion de parler du Regard (je mets volontairement un "R" majuscule) porté sur les choses, et je citerai Marcel Duchamp qui a dit "Ce sont les regardeurs qui font le tableau", qu'en penses-tu ?

    - est-ce que regarder ça s'apprend, peut-on "éduquer" un regard ?

    - penses-tu avoir un rôle dans cet apprentissage si apprentissage il peut y avoir ?

Je pense, oui. C’est primordial de transmettre, d’aiguiser le regard du « Regardeur », de pointer les zones interlopes de la peinture, celles ou l’artiste trouve son espace singulier. Regarder est un métier. « Ce que nous voyons nous regarde » disait Merleau-Ponty. Il faut apprendre à voir pour regarder. J’essaie du mieux que je peux d’y convier mes invités à le faire en leur posant des questions sur les blazes dans les graffitis par exemple, afin de leur montrer qu’ils sont à même de les lire. Le regard dépend de nos références culturelles et forcément de notre âge.

J’explique aussi à chaque fois que je peux pendant mes visites la technique des photos sur les toits noirs des voitures ou dans les flaques d’eau, mais tu sais déjà ! Faire des photos traduit bien l’apprentissage du regard, car définir son cadre c’est un parti pris esthétique qui révèle une vision personnelle. Selon moi, plus le regard est original et composé, plus belle est la photo.

On peut éduquer son regard, la meilleure consiste d’aller fréquemment au musée pour s’interroger sur les œuvres, les faire résonner dans son moi intérieur, comme sur la peau d’un tambour… et écouter le rythme produit. C’est la même chose dans la rue, savoir reconnaître un tag du premier coup d’œuvre, ou attribuer le mur à un artiste depuis 50 m. ça s’apprend, ou du moins, c’est le fruit de la fréquentation intime des œuvres de street-art.

 

- Les tags et les lettrages n'ont pas toujours le même accueil auprès de tes invités, et j'ai moi-même mis du temps à m'y intéresser ; tu les lis avec ton groupe, tu les déchiffre je pourrai même dire, chacun peut participer à cette lecture. Est-ce essentiel de savoir pour apprécier ?

(L'histoire de Némo qui dessinait des ballons -si je me souviens bien- sur le chemin de l'école de son fils ; Démétrios ce coursier d’origine grecque, qui signait Taki 183, sur le parcours de ses courses - abréviation de Démétralki, et 183 pour la 183ème rue à New York, son adresse, précurseur du Tag New Yorkais...)

    - de la même façon, faut-il s'intéresser à la technique, au flow, au rythme, inhérents à la réalisation de l'artiste pour apprécier, comprendre pleinement sa réalisation ?

Alors, dans l’ordre, je cherche moins à délivrer des contenus de savoir, en lisant les graffs avec mes invités, qu’à créer un groupe, à permettre à tous de s’exprimer sur un support qu’il ne lis jamais, donc à fédérer l’équipe, c’est pour ça que j’aime bien le faire au début. A Vitry, où je commence avec deux graffs de BROK et TAKT. C’est un rite de passage, après ma visite, je sais qu’ils pourront lire les blazes par eux-mêmes. Cependant, je m’en sers pour parler du graffiti, son histoire, ses codes, la différence avec le street-art et leur réunion dans l’expression « art urbain ». Car du graffiti, je vais leur en parler pendant deux heures, mieux vaut que je sois clair.

Je me rends compte en parlant, que je n’établis pas de hiérarchie entre l’un et l’autre… pour moi l’art urbain mache sur ses deux jambes, le street-art et le graffiti. C’est possible que cela déstabilise mon public, car il vient souvent sur la base de connaître le Street-Art et pas les vieux taggs perdus sur une porte délabrée, mais je montre les deux. Hier, à Montreuil, je n’ai pas pu m’empêcher de m’ébaubir devant un tag de ASYLE, parce que c’était pour moi l’occasion de parler de l’âge d’or des années 80 avec le climax du 1er mai à la station de métro « Louvre-Rivoli » repeint par OENO et consorts, où on voit ANDRE à la télé, qui trouve ça bien joli et que ça témoigne que l’art a changé de camp, selon lui. Et j’ajouterai que non seulement la liberté d’expression est dans la rue, mais la beauté aussi, pour citer un slogan de mai 68.

Non, selon moi il n’est pas besoin de savoir pour apprécier. Mais de savoir permet de se sentir inclu dans le cercle des amateurs, ça contribue à changer notre regard de savoir les détails. A propos du personnage de Windsor McCay « Little Nemo » et de l’artiste qui a gardé « Nemo » pour ponctuer le trajet allé de son fils jusqu’à l’école, pour qu’il soit bien disposé à apprendre justement… c’est pareil pour Taki 183, le savoir permet de se rapprocher de l’artiste. Le voir…

 

- "S'émerveiller", un mot qui chante à nos oreilles : est-ce que tu t'émerveilles toujours quand tu découvres de nouvelles œuvres dans les rues ?  

Mais, oui, quelle question (rires) ! Oui, bien sûr, il y a de quoi, nous avons la chance de vivre dans une capitale de l’art urbain. Ici, le terrain est dense, il y a matière à s’ébaubir, à se faire une entorse de l’œil comme je dis souvent (rires). Mais oui, je comprends bien ta question, c’est joli de la formuler en positif ; est-ce qu’il n’y a pas un effet de lassitude à force de fréquenter les œuvres. Et bien, non. Comme j’arpente beaucoup les rues, je découvre des artistes tout le temps. Les voyageurs qui profitent de leur escale à Paris pour poser sur nos murs, j’adore. C’est aussi franchir une frontière de connaître de nouveaux talents, de nouvelles techniques, de nouvelles propositions artistiques.  

 

- S'il fallait conclure maintenant cet entretien, j'invoquerai pour cela un poète que tu connais et apprécies, Charles Baudelaire, et ce vers du poème "Le mauvais vitrier" : "La vie en Beau, la vie en Beau !... Mais qu'importe l'éternité de la damnation à qui a trouvé dans une seconde l'infini de la jouissance !" 

Je suis plus d’accord avec la première partie de la phrase que la seconde. Car j’y vois le génie un peu pervers du poète, qui a fait de lui un maudit par définition. A ce titre, je pourrai ajouter qu’il portait la damnation au-dessus de tout. Notamment, dans le poème qui lui est dédié, la beauté est vêtue d’atours « plus câlins que les anges du mal ». Mais aussi, que la fin de sa vie est symptomatique du point de ce point de vue. Il est resté neuf mois dans le coma et à la dernière minute, il s’est dressé sur son lit et a prononcé un juron, un blasphème ; « crénom » !

J’aime mieux l’expression la vie en Beau, parce qu’elle résume toute une philosophie. Je la résume en citant Merleau-Ponty, « ce que nous voyons nous regarde ». C’est tout le propos, être conscient de cet aller-retour entre la lumière du monde et nos ténèbres, j’ai envie de dire.

On a évoqué le « regardeur » de Marcel Duchamp je crois, sinon c’est le moment de le faire. La beauté se trouve peut-être plus dans ce rapport entre le regardeur et l’œuvre que dans l’œuvre elle-même, pour conclure qu’il n’y a pas de beauté absolue. Elle est relative à notre héritage culturel, à nos valeurs, à nos habitudes ; elle s’établit en fonction de notre individualité.

 

- Il n'existe pas Une définition du Beau, je pense, mise à part celle du Larousse, mais toi qu'en dirais-tu, qu'est-ce que le Beau pour toi ?

Le Beau nous rassemble, de cela je suis sûr.

 

- Y’a-t-il une question que je ne t’ai pas posée à laquelle tu aimerais répondre ?

Oui, elle aurait trait au Hip-Hop, dont on a fêté l’an passé le 50ème anniversaire, d’après la date de la soirée animée par Kool-Herc aux platines pour la rentrée de sa petite sœur, le 9 septembre 1973, qui est considérée comme la première « Block-Party » de l’histoire. Bien sûr, elle avait lieu dans le Bronx, car tout le mouvement est parti de ce quartier sous-valorisé, on dirait relégué ou sensible, pourtant les habitants ont créé l’art du XXIème siècle. Et comme on parle de musique là, tu remarqueras que c’est le même creuset, la même marmite que là où a « bouilli » le Blues à la Nouvelle-Orléans à Storyville, qui était un quartier aussi mal réputé.

Et, comme le précise Ahmad Jamal, ils ont inventé « la musique classique du XXème siècle ». 

Entretien avec Evelyne Lebouvier, août 2024 - (2/3)

 - La musique tient une grande place dans ta vie, est-ce qu'elle t'accompagne au cours de tes visites, des morceaux privilégiés ?

Impossible de ne pas évoquer la musique dans le rythme des visites. Souvent, j’écoute WeFunk Radio avant, car ça a le don de me mettre sur pied, de me préparer, je ne sais pas bien l’expliquer, mais ce serait un peu comme un métronome. Il y a aussi les musiques que j’aime bien ou que j’ai réécouté récemment. Elles peuvent me donner la pêche, comme on dit en bon français, « a tingle ». Je crois en ferme adepte de Baudelaire à la théorie des correspondances, « j’aime à la folie les choses où le son se mêle à la lumière » et on peut toujours trouver l’écho d’une symphonie dans un bouquet de couleurs, un mur orchestré avec bonheur, je dirais !

Des morceaux privilégiés, comme Dargelos dans « Les Enfants Terribles » de Jean Cocteau, ne veut vivre que des moments privilégiés ? Oui, « back to the roots » un bon paquet de blues et de spirituals comme « West End Blues » de Louis Armstrong ou « In The Upper Room » par Mahalia Jackson. A cela vient s’ajouter le répertoire Be-Bop, « Cool Blues » de Charlie Parker ou « A Night In Tunisia » de Dizzy Gillespie. Enfin, il faut rajouter la crème soul et funk avec Marvin Gaye « Mercy, Mercy Me » mais aussi Sam Cook, Al Green, James Brown, The Isley Brothers « Between The Sheets », The Jacksons Five « I Want You Back » ou « The Pusherman » de Curtis Mayfield. L’emblème, c’est sûrement « Street Life » des Crusaders ou « Native New-Yorker » du groupe Odyssey. Et la culture des bandes originales de films. Je n’en citerai qu’une « Le Corps De Mon Ennemi » par Francis Lai pour le film éponyme.

- Est-ce que tu te considères comme une personne atypique ?

Ah quelle bonne question, je te remercie de me la poser. Oui, je me considère comme un extra-terrestre ou une espèce en voie de disparition, c’est selon les travaux et les jours.

D’abord, parce que je mets du sens en toutes choses. J’analyse et j’interprète beaucoup, parfois trop vite. Je suis vieille école, c’est-à-dire que je crois plus en la qualité, le soin, l’inventivité d’un artiste que son nombre de followers. La quantité à mon sens n’a jamais fait la qualité, au contraire, souvent elle la dénie. Aussi, je juge pour me situer et pas pour le plaisir de juger. Mais j’essaye d’avoir ma pensée propre et c’est là que je me rends compte que le public dans son ensemble, ne veut pas savoir. Il se contentera des récits de la CIA sur l’assassinat de John F. Kennedy. « Gouverner, c’est raconter » disait en substance Nicolas Machiavel, il faut se défier des discours lissés.

Ensuite, parce que j’ai l’impression que mes contemporains ne se soucient pas de savoir, ils se soucient d’avoir. Dans ce sens, je suis atypique, je me contrefiche de posséder, tant que j’ai gardé l’idée. Même les photos parfois, je me refuse à les faire pour laisser infuser et vérifier si j’aime bien ou pas avant d’avoir l’image dans mes dossiers, dans le domaine de l’émotion c’est la force de l’impression le plus important.
Je dirais que je n’ai pas la même échelle de valeurs que la plupart des gens, je n’ai qu’à regarder la platitude de leur Instagram dans le métro par-dessus leur épaule, pour me le confirmer.

- Quel mot utiliserais-tu pour te "qualifier" ?

Poète, au sens littéral. « Poiêsis » en grec, c’est la force de la création artistique. Au sens commun, c’est la profession de celui qui écrit des vers. Je voudrais bien être à la hauteur des deux.

- Est-ce que tu te considères comme un passeur de connaissances ?

Est-ce une perche, tu me connais bien et c’est pourquoi cet entretien, pour parler de Serge Daney ?
Tu sais que c’est auteur important pour moi. Il s’intitule lui-même un « ciné-fils » parce que son père doublait les films américains en français et aller au cinéma, c’était à défaut de le voir, entendre son père lui parler. C’est Monsieur Serge Daney, dont on courrait les articles le mercredi dans Libération. Auparavant, il avait été pendant 20 ans directeur-en-chef de la rédaction des « Cahiers du Cinéma ».
C’est un esthète, il m’a frappé autant par son article sur le traveling de Kapo que sur sa vision des cartes postales son entretien avec Pierre-André Boutang pour la Sept est un résumé de sa pensée. C’est lui qui m’a soufflé cette idée de « passeur » dans les livres que j’ai lu de lui, je citerai « Le Salaire du Zappeur » et « L’Exercice a été profitable, Monsieur », chez POL et dans la revue Positif, le N°1.

 

- Quel est le 1er artiste que tu as découvert ?

Premiers artistes que j’ai connus à la faveur de deux reproductions dans ma chambre d’enfant « Le Lièvre » d’Albrecht Dürer et « Le Clown » de Bernard Buffet. Ils ont contribué à m’interroger sur l’image.

Comme artiste de rue, MESNAGER. J’avais 20 ans, je fréquentais pour la première fois les « Ateliers de Ménilmontant », je suis passé rue de la Duée, là où l’artiste habitait à l’époque et j’ai été saisi par la poésie de ses bonshommes blancs. Et puis, la rue des Partants et NEMO. Les deux dans la même foulée.

Mais ce n’est pas mon premier mur. Le premier, c’est le mur de Berlin en 1986 et tous ces graffitis « Die Mauer Muss Fallen » (le mur doit tomber) et les « Mickey » en caricature avec la poignée de dollars en main… c’est mon premier mur, j’en garde un souvenir ému, en plus on carburait à la « Berliner Weisse ».

 

- S'il y avait un artiste que tu aimerais nous faire découvrir, là, maintenant, ce serait lequel ?

C’est une question difficile, en ce moment, j’aime bien les pochoirs de KLICK. Mais je voudrais citer Léo DIELEMAN avec qui j’ai eu une belle expérience à Belleville, que je compte reproduire à Montrouge !

Cependant, avec l’association, j’ai réussi à réunir certains artistes qui reviennent à travers mes différents projets, parmi eux honneur aux Dames, ADEY, DEMOISELLE MM, DIANE, EMYART’S, LOUYZ, MS BEJA, NICE ART, STOUL et pour les Darons, DOCTEUR BERGMAN, ERNESTO NOVO, JON BUZZZ, LE LONG, etc.

 

- Quelle a été ta pire visite ?

Je crois que c’était avec deux dames sur le parcours de INVADER dans le centre, qui photographiaient absolument tout sur le parcours, je me demandais si elles établissaient la moindre échelle parmi les œuvres qu’on envisageait ensemble !? C’était long et sans rythme, je ne trouvais pas le moyen de les réunir, telles des brebis égarées je ramais et j’ai dû déployer des trésors de patience notamment quand je me retrouvais planté à parler tout seul. Le pire pour un guide est de ne pas être écouté.

 

- La plus agréable ?

Je n’ai pas la réponse, chaque visite est nouvelle en dépit du parcours qui est le même, puisque ce sont de nouveaux invités et donc une autre équipe. De prononcer à haute voix avant chaque visite la phrase « ça va être une bonne visite » m’aide à envisager ce moment comme un moment à part et toujours différent, sans compter les surprises qui peuvent advenir. Des nouveautés, des peintres en action, une rencontre… c’est chaque fois pareil et différent. De toutes mes visites, environ 384 à ce jour, je garde un bon souvenir.

Seulement, je peux citer ma visite fleuve, puisque tu faisais partie de l’équipée chère Evelyne, sept heures de visite entre Vitry et Porte de Choisy ! 10h00 – 17h00, c’est un record difficile à battre !

 

- Quelle est la question que tu n'aimes pas que l'on te pose ?

La question classique, c’est « Vous faites d’autres visites ? ». Là, je bois du petit-lait car je n’en affiche pas moins de quinze à mon actif et je suis content de les mentionner. Mais celle que je n’aime pas, c’est la question intrusive des finances, parce que les salariés ne comprennent pas qu’on peut être indépendant, c’est trop loin d’eux, aussi ils me demandent sans ambages « Est-ce que vous êtes employé par la mairie ? » « Vous arrivez à en vivre ? » Mais, est-ce que je te demande ton salaire, frère !?

 

- Celle que tu aimerais que l’on te pose ?

Encore une question difficile et donc bien sentie. Elle me laisse rêveur… « Pourquoi avez-vous choisi le Street-Art comme sujet de conférence ? ». On pourrait dire d’éloquence aussi. Pourquoi, parce que comme dit Banksy : " Personne ne rechigne devant le prix du ticket d’entrée » pour le Street-Art et de ce point de vue, c’est un art démocratique. Ouvert à tout public.

 

- L'Art urbain est en plein essor depuis quelques années, est-ce que tu y vois une mode ou bien un courant qui va se développer encore, et faire partie de notre quotidien urbain ?

C’est une révolution majeure dans l’histoire de l’art et le Street-Art est l’art du XXIème siècle, s’est établi comme tel depuis maintenant vingt ans. Il a les racines nécessairement puissantes donc suffisantes et l’inscription dans la tradition pour rebondir et se réinventer, je suis confiant dans la créativité des artistes. Je le vérifie tous les jours à travers mon fil d’actualité.

La question d’ordre moral est de se demander si la récupération de cette expression libre à des fins commerciales, je parle des enseignes pas des galeries, est bénéfique au mouvement ? Peut-être, comme la BD peut amener à lire des romans, y compris ceux de Dostoïevski ou de Joyce et Faulkner. Boris Vian.

- Y’a-t-il une question que je ne t’ai pas posée à laquelle tu aimerais répondre ?

Oui, elle aurait trait avec le Hip-Hop, dont on a fêté l’an passé le 50ème anniversaire, d’après la date de la soirée animée par Kool-Herc aux platines pour la rentrée de sa petite sœur, qui est considérée comme la première « Block-Party ». Bien sûr, elle avait lieu dans le Bronx, car tout le mouvement est parti de ce quartier sous-valorisé, on dirait relégué ou sensible, pourtant les habitants ont créé l’art du XXIème siècle. Et comme on parle de musique là, tu remarqueras que c’est le même creuset, la même marmite que là où a « bouilli » le Blues à la Nouvelle-Orléans à Storyville, qui était un quartier aussi mal réputé. Pareil, comme le précise Ahmad Jamal, ils ont inventé « la musique classique du XXème ».